Comment devient-on un terroriste?

Dans un récent article intitulé « Assez de cette hypocrisie anti-sioniste », j’évoquais l’énorme responsabilité que portent les médias de la haine, l’éducation à la haine et la rhétorique haineuse dans la dérive meurtrière d’adolescents et de jeunes Palestiniens.

L’épouvantable tuerie de Nice m’amène à compléter mon propos. Il convient d’abord de signaler que l’utilisation de véhicules pour écraser des passants n’est pas nouvelle : ce procédé a été utilisé à maintes reprises par des terroristes palestiniens pour assassiner des Israéliens (ou supposés tels). La plupart des auteurs de ces forfaits n’avaient pas d’antécédents terroristes, tout comme l’assassin de Nice. Il est légitime d’imaginer que ce dernier ait eu l’idée de son action grâce aux « exemples » palestiniens.

Mais surtout, il faut là encore mettre en cause le rôle joué par les médias dans la « fabrication » de terroristes. Nos médias traditionnels sont biaisés dans leur couverture du conflit du Proche-Orient. Ils mettent trop souvent les assassins et leurs victimes sur le même pied, conférant ainsi aux premiers une certaine légitimité.

Cette tendance est encore plus flagrante lorsqu’il s’agit des chaînes de télévision arabes dont sont abreuvés quotidiennement les jeunes issus de l’immigration. Les paraboles que l’on aperçoit accrochées aux fenêtres de nos cités sont, pour la plupart, orientées en direction des satellites relayant ces chaînes moyen-orientales ou nord-africaines. Les nouvelles générations ont grandi en regardant chaque jour des images de violences accompagnées de commentaires tendancieux et souvent haineux à l’égard des « Sionistes ».

Nombre de ces jeunes de banlieues ont pu facilement s’identifier aux militants palestiniens qu’ils voyaient tenir tête à des militaires casqués et armés. Comme eux, ils sont Musulmans. Comme eux, ils se sentent marginalisés, méprisés. Comme eux, ils sont souvent en situation d’échec scolaire puis de chômage. Comme eux, ils ont été bercés par les récits magnifiés de la « lutte de libération nationale » menée par leurs parents ou grands-parents et par les descriptions du colonialisme auquel on attribue tous les maux possibles et imaginables qui expliquent, leur a-t-on dit, leurs difficultés d’aujourd’hui.

Enfin, il y a le rôle néfaste joué par internet, où ils ont accès à des sites, djihadistes ou autres, qui relaient une propagande encore plus mensongère et manichéenne que les chaînes de télévisions arabophones. Dans ces médias parallèles, les théories du complot abondent et sont présentées comme des vérités absolues et établies : les Sionistes, avec le soutien de l’Occident, ont volé la terre des Palestiniens, la Shoah n’est qu’un mythe sioniste utilisé pour justifier ce vol, les avions européens et étasuniens massacrent les femmes et les enfants syriens, etc.

Le tueur de Nice [1] n’a pas grandi en France. Il est venu de Tunisie, un pays où les islamistes exercent une influence considérable depuis la révolution dite du jasmin. Le père de l’assassin serait d’ailleurs le responsable du parti islamiste Ennahda dans sa ville d’origine. Depuis son arrivée en France, ce Tunisien n’a connu qu’échec après échec.

Echec conjugal et multiples échecs professionnels. Non, la France ne correspondait décidément pas à l’eldorado qu’il avait imaginé. Nul doute que les médias que je viens de décrire ont exercé sur lui une influence considérable. Il a d’ailleurs été décrit comme étant probablement psychopathe. Ne peut-on donc pas penser que ce cocktail d’échecs, perçus comme autant d’humiliations, et cette overdose de propagande nocive ait pu l’amener à franchir le pas et à vouloir lui aussi se transformer en « héros » d’une cause présentée comme noble ?

La propagande de l’EI joue certainement un rôle déterminent dans l’endoctrinement sournois subi par ces jeunes déclassés en manques de repères. Il faut d’ailleurs avouer qu’elle est bien faite, cette communication. Visiblement, elle est l’œuvre de spécialistes, de professionnels. Ces vidéos, ces harangues, ces chants, parviennent à persuader certains de ces esprits faibles que leur vie, jusque-là accumulation d’échecs, pourrait devenir utile à une cause supérieure à tout, au service de la défense des Musulmans opprimés et d’une religion prétendument bafouée.

Soudainement, un but et une certaine considération leur sont offerts, on leur démontre qu’ils ne sont pas responsables de leurs échecs car ces derniers sont causés par une société mécréante qui les méprise et qui, de surcroît, laisse leur religion et son prophète être impunément blasphémés. Toutes leurs errances, tous leurs péchés sont effacés, la rédemption leur est offerte s’ils acceptent de s’engager au service de cette cause sublime. Leur sacrifice éventuel ne sera pas vain puisqu’ils deviendront des héros, puisque leurs noms et leurs photos feront la Une des médias et que le Paradis et ses délices les attendent s’ils deviennent des martyrs. Là encore, le « modèle » palestinien a certainement une influence considérable sur leur évolution psychologique puisqu’ils ont vu comment, là-bas, les martyrs sont glorifiés et leurs familles honorées, tant par la société que par les pouvoirs publics.

Si l’on admet mon explication comme plausible, il conviendrait alors de sérieusement s’inquiéter. Car combien sont-ils, en France, en Europe, ces jeunes arabo-musulmans en situation d’échec ? Combien y a-t-il, parmi eux, de personnes psychiquement fragiles ? Nous avons compris, ces derniers mois, qu’il est extrêmement difficile de suivre et de contrôler les faits et gestes de tous les « radicalisés » et autres apprentis djihadistes. Il sera donc encore plus difficile de détecter d’éventuelles tentations de passage à l’acte chez tous les ratés et autres déséquilibrés vivant parmi nous !

[1] Le lecteur remarquera que je m’abstiens de citer le nom du terroriste, car la notoriété posthume est précisément ce à quoi aspire ce genre d’individu.

à propos de l'auteur
Hervé Cheuzeville est diplômé de l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris. Il est basé à Bastia, en Corse et a vécu et travaillé en Afrique de 1989 à 2013, toujours dans l'humanitaire, après avoir œuvré en Asie du Sud-Est. Il est l’auteur de "Kadogo, Enfants des guerres d’Afrique Centrale" (Ed. l’Harmattan, 2003), de "Chroniques Africaines de guerres et d’espérance" (Ed. Persée, 2006), de "Chroniques d’un ailleurs pas si lointain – Réflexions d’un humanitaire engagé" (Ed. Persée, 2010) et de "Au fil des chemins - Afrique, Asie, Méditerranée"(Edilivre, 2013). Les deux tomes de son ouvrage suivant, "Des royaumes méconnus", sont parus chez Edilivre: le premier est consacré à 6 royaumes d'Asie, le second à 12 royaumes africains. En mars 2017, les Editions Riqueti ont publié son dernier ouvrage, "Prêches dans le désert", qui constitue un véritable réquisitoire contre l'islamisme politique, le terrorisme islamiste et le parti pris propalestinien des grands médias. Ce livre a été suivi par "Nouveaux Prêches dans le désert" publié en 2020 aux Edizione Vincentello d'Istria. Entre temps, il avait publié, chez ce même éditeur "Rwanda, vingt-cinq années de mensonges". Hervé Cheuzeville a en outre contribué à deux ouvrages collectifs: "Corses de la diaspora" en 2018, sous la direction du Professeur Jean-Pierre Castellani (Scudo Editions) et "Chypre, 1974-2024, 50 ans d'occupation turque", sous la direction de l'historien Charalambos Petinos.
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