Commémoration du quatre-vingtième anniversaire de la rafle de Tunis

Le 9 décembre 1942, Gilbert Mazouz, 19 ans, était abattu à Tunis par les Allemands, premier Juif assassiné en Tunisie durant l’occupation allemande de la Tunisie.

Gilbert Mazouz est né le 28 juin 1923 à Tunis, fils de Salomon, horloger et Valentine Frati.

Il a deux frères, Raymond et Georges et une sœur, Simone.

Leur père décède prématurément en 1936 alors que son épouse attend leur cinquième enfant, Emile qui naît en 1937.

Gilbert, qui a fait sa scolarité à l’Ecole de l’Alliance Israélite présente une légère déformation de la voûte plantaire qui le gêne pour de longues marches mais ne fait pas de lui un «infirme » contrairement à certaines affirmations.

En Novembre 1942, la Tunisie est occupée par les troupes de l’Axe en réaction au débarquement allié en Afrique du Nord (opération Torch).

Dès l’entrée des SS à Tunis, la situation des juifs tunisiens s’aggrave brutalement.

Le 23 novembre des dirigeants communautaires sont arrêtés et détenus en otages puis des mesures confiscatoires et des amendes sont imposées à la communauté juive.

Un comité de recrutement est constitué sous l’autorité de Paul Ghez, avocat et ancien combattant, afin de tenter de répondre aux exigences allemandes.

Le 6 décembre 1942, le Colonel SS Walter Rauff exige du président Moise Borgel et du grand-rabbin Haim Bellaïche que la Communauté lui livre 3000 travailleurs âgés de plus de 18 ans.

Le 9 décembre au matin seuls 125 Juifs s’étant présentés à la Caserne Foch, Rauff fait irruption à la Grande synagogue où commence une rafle de centaines de juifs. Il la poursuit dans les rues avoisinantes.

La veille un envoyé du Comité de recrutement nommé Abitbol s’était présenté au domicile de Gilbert Mazouz pour lui signifier sa réquisition pour les camps de travail.(1)

Le mercredi 9 décembre au matin, en l’absence de sa mère et de son frère partis chercher des soutiens, Gilbert est interpellé avec un groupe de voisins (Perez, Boujenah..) et transféré au lieu de rassemblement .

En fin d’après-midi, sous la pluie, la colonne se met en marche en direction du camp de Cheylus au sud-ouest de Tunis (Djebel Oust à proximité de Zaghouan). Gilbert souffrant de sa déformation plantaire a des difficultés à suivre la marche forcée. Ses compagnons le soutiennent à tour de rôle…

Vers 18 heures, la colonne arrive à proximité de la ferme Henchir Ben Attia. Elle fait halte car l’officier allemand s’est trompé de route et contraint le groupe à traverser un champ boueux.

Gilbert se trouve alors bloqué dans la glaise, un officier allemand s’avance et l’abat froidement de 3 coups de revolver.

« Il était six heures du soir environ, la nuit était déjà tombée et la pluie nous mouillait fortement. Le chef de convoi nous a fait rentrer dans un champ labouré où la marche dans un sol détrempé était très difficile. Mazouz ne pouvant plus être porté a été déposé à terre. Le chef de convoi s’est approché de Mazouz qui était couché à terre et lui a porté des coups de pieds pour l’obliger à se relever. Nous avons voulu intervenir mais les allemands nous en ont empêchés. Je n’avais pas fait vingt mètres que j’ai entendu trois coups de feu. » (2)

Son corps est enterré par les fermiers sous un arbre et l’un d’eux donnera ces indications à sa famille afin de le récupérer et de le ramener à Tunis où il sera inhumé au Borgel.

Mon père Raymond, alors âgé de 15 ans, devient à son tour chef de famille en se dévouant à ses frères et sœur.

Il ne devait pas être facile de subsister pour une veuve sans ressources avec quatre enfants à charge dans la Tunisie des années quarante. Il a fallu apprendre à continuer à vivre avec cette douleur jamais éteinte.

L’avocat Paul Ghez, et lui seul, a manifesté quand il l’a pu son soutien à ma grand-mère.(3)

L’assassinat de Gilbert Mazouz, première victime juive des troupes d’occupation en Tunisie a marqué la mémoire juive tunisienne et sera évoqué dans de nombreux ouvrages traitant de cette période.

Après la libération de Tunis en 1943, la Voix juive, publication sioniste rend hommage en première page à Gilbert Mazouz, « Notre premier martyr » conférant ainsi à sa mort une valeur symbolique (4), première victime innocente du projet nazi en Afrique du Nord, arrêté puis abattu parce que juif et rattachant ainsi son sort à celui des Juifs d’Europe.

Son histoire doit nous aider à prendre conscience que les persécutions nazies envers les Juifs, même si elles ont été infiniment moindre qu’en Europe, ont visé aussi les juifs au-delà de la Méditerranée.

Il est important de préserver cette mémoire, de ne pas la dénaturer comme cela s’est produit parfois (5).

Cette tragédie doit aider à mieux comprendre l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale.

(1) Témoignage de mon père Raymond.

(2) Témoignage du Rabbin Hagège devant le Tribunal de Tunis

(3) Témoignage de mon oncle Emile qui surnomme Paul Ghez « le bienfaiteur »

(4) La Voix Juive du 9 décembre 1943 ( Archives famille G.Mazouz)

(5) Dans son livre Villa Jasmin (2003), Serge Moati utilise le nom de Gilbert Mazouz dans un contexte contraire à la réalité historique. Ce procédé indélicat est dénoncé par Claude Nataf lui-même.

Bibliographie:

-Site : https://www.gilbertmazouz.com/

​- ABITBOL Michel, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, Maisonneuve et Laroze, 1983, et la 2ème édition revue et corrigée, Paris, Riveneuve Editions, 2008​

– BORGEL Robert, Etoile jaune et croix gammée. , Tunis, Artypo, 1944, 2ème édition préfacée et annotée par Claude Nataf, Paris, Fondation pour la Mémoire de la Shoah/Editions Le Manuscrit, 2007​

– FRIEDL Sophie , Der Handlungsspielraum der jüdischen Gemeindeleitung in Tunis 1942-43, Munich, 2014​

– GHEZ Paul, Six mois sous la botte, Tunis, SAPI, 1943 ​

– GUEZ Gaston, Nos martyrs sous la botte allemande, les ex-travailleurs racontent leurs souffrances, Tunis, La Presse, 1946​

– MEMMI Albert Journal de guerre édition annotée par Guy Dugas Editions CNRS ( « La question des camps de travail en Tunisie » p 268 voir note de bas de page)

​- NATAF Claude, Les Juifs de Tunisie sous le joug nazi 9 novembre 1942-8 mai 1943, récits et témoignages, préface de Serge Klarsfeld, Paris, Fondation pour la Mémoire de la Shoah/Editions Le Manuscrit, 2012​

– SABILLE Jacques, Les Juifs de Tunisie sous Vichy et l’Occupation, Paris, Editions du Centre, 1954

à propos de l'auteur
Serge est cardiologue, médecin hospitalier et vit à Paris. Il a créé le site gilbertmazouz.com afin de perpétuer la mémoire de son oncle Gilbert, premier juif assassiné à Tunis durant l'occupation.
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