Colbert, Jérusalem, prélude à un monde Alzheimer ?
Un combat contre la mémoire.
Faut-il éliminer de l’histoire les personnages et les événements qui indisposent les uns ou les autres ?
Il faut éradiquer Colbert de l’espace public ! Cette exigence d’associations et d’intellectuels dans le Monde du 16 septembre 2017 pose bien des questions. C’est vrai, l’esclavage en France doit beaucoup à Colbert, on lui doit la Compagnie des Indes et le Code Noir[1]. La ville de Sablé sur Sarthe, fief de François Fillon a été la première à débaptiser son collège Colbert.
Aux Etats-Unis, une polémique similaire touche la mémoire du général Lee. Les monuments de Palmyre en Syrie ont été détruits, de même que les bouddhas de Bâmiyân. L’UNESCO en Israël a supprimé la mémoire des lieux juifs de mémoire pour les remplacer par des noms musulmans. Dans l’antiquité les Romains avaient déjà mis en pratique la méthode. Pour détruire un peuple il faut détruire sa mémoire. C’est ainsi qu’Israël est devenue Palestina et Jérusalem Aelia Capitolina.
Cette polémique sur Colbert est significative. On cite aussi Jules Ferry, personnage emblématique dans l’éducation qui considérait qu’il existait des races inférieures et des races supérieures, ces dernières ayant le devoir de développer la civilisation et Napoléon[2] qui a rétabli l’esclavage aux Antilles après la Révolution.
L’esclavage est certes un crime qu’on ne doit pas oublier, mais qui existe toujours et que ces gens qui s’attaquent à Colbert ne veulent pas voir. Quand il est question d’esclavage aujourd’hui on pense uniquement au commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Cette traite négrière est la seule reconnue comme crime contre l’humanité par la loi Taubira du 21 mai 2001. Mais pour Olivier Grenouilleau, historien de l’esclavage[3], elle n’est pas la seule. Il estime à 42 millions le total des victimes pour trois traites négrières :
– la traite intra-africaine : 14 millions de personnes, dont une partie revendue à des Européens ou des Arabes ;
– la traite atlantique, par les Européens : 11 à 13 millions de personnes, dont l’essentiel à partir de la fin du XVIIe siècle ;
– la traite orientale, à destination du monde arabo-musulman : 17 millions de personnes.
L’esclavage est un crime toujours actuel en Mauritanie, au Qatar, en Arabie et dans tous les pays musulmans ou il n’a jamais été remis en question. Il existe même encore dans des pays qui l’ont officiellement aboli, comme le Liban ou l’esclavage sexuel et l’esclavage domestique sont florissants[4].
Les associations et intellectuels qui demandent que l’on supprime statues, rues et lycées portant le nom des personnages qui ont fait l’histoire de France et ont eu une responsabilité dans le développement de l’esclavage en France, croient-ils qu’en supprimant la mémoire de l’esclavage ils supprimeront l’esclavage ? Ou n’essaient-ils pas plutôt de manipuler les populations immigrées et défavorisées contre les systèmes démocratiques ?
En supprimant Colbert, Jules Ferry et le général Lee, ils suppriment en même temps Schoelcher et Abraham Lincoln car si on fait comme si l’esclavage n’avait pas existé, la lutte contre l’esclavage n’a plus lieu d’être. C’est en réalité la mémoire qu’ils veulent effacer.
L’histoire nous rappelle que l’Inquisition a brûlé les livres avant de brûler les Juifs, c’étaient les autodafés, les actes de foi. Les nazis ont également détruit les statues et brûlé les livres avant de faire de même avec les Juifs. Le 22 octobre 1939, avant d’envahir la Pologne, Hitler avait déclaré à ses généraux « Qui parle encore de l’extermination des arméniens ?»
Les révisionnistes qui veulent déboulonner Colbert et revisiter l’histoire. Qui soutiennent à l’Unesco que Jérusalem n’a jamais été juive, que la preuve qu’elle a toujours été musulmane c’est que c’est du mont du Temple que la jument de Mahomet, Al Bouraq s’est envolée vers Allah.
Prenant au premier degré les paroles de extraites de l’Internationale :
« Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.»,
Ils rejoignent les fanatiques d’une dictature religieuse que Boualem Sansal décrit ainsi « La dictature religieuse, est prête à tout détruire. C’est le but : détruire, détruire, détruire, pour ne plus garder que la pureté de l’idéologie. Et comme tout homme est censé souiller l’idéologie, au bout ils tueront tout le monde »[5].
Dictature militaire, dictature religieuse ou dictature du prolétariat, c’est dans un monde Alzheimer, un monde sans mémoire, qu’elles pourront prendre le pouvoir sans une opposition démocratique puissante.
Pour lutter contre l’obscurantisme il faut revenir à la raison. L’enseignement de l’histoire se doit d’être un compromis pédagogique qui incite à la réflexion et non à l’imposition d’idéologies qui inhibent la pensée. C’est l’étude et la connaissance des valeurs humanistes qui, seules nous permettront d’éviter la répétition des erreurs du passé.
Notes
[1] Si la mémoire de Colbert est ternie par son rôle dans l’esclavage, il est d’abord l’homme d’État qui a relevé l’économie de la France et développé l’activité industrielle et commerciale. En Méditerranée le négoce a été favorisé par les capitulations qu’il a signées avec l’Empire turc.
[2] L’esclavage avait été aboli par la Convention le 4 Février 1794. Napoléon l’a remis en vigueur en rétablissant le Code Noir de Colbert par la loi du 20 mai 1802. Les massacres qui ont suivi la révolte des noirs se sont terminé par le suicide collectif du Matouba, qu’on a qualifié de Massada des Antilles.
[3] Olivier Grenouilleau est professeur à Science-Po. Sa thèse sur les différents aspects de l’esclavage a reçu de multiples récompenses, mais il a été violemment attaqué et traité de raciste pour avoir osé déclarer que les occidentaux n’étaient les seuls responsables de l’esclavage.
[4] Libération, 30-07-2014 : Esclavage domestique au Liban. RFI le 17-06-2016 : Liban: des centaines de Syriennes transformées en esclaves sexuelles.
[5] https://www.rts.ch/info/monde/7200914–la-dictature-religieuse-est-prete-a-tout-detruire-estime-boualem-sansal.html