Clarification

Spectaculaire. Impressionnant. Exemplaire. Révélateur. Instructif.

Jonathan s’amusait à compter les qualificatifs. Il faut dire. L’enthousiasme de son copain globe-trotter, débarquant en Israël le matin même, et assistant toute la journée au spectacle fascinant de la session extraordinaire de la Cour suprême, ébranlait un peu son effort de neutralité. D’autant plus que ce copain justifiait sa véhémence. La critique de la démocratie est facile. De la démocratie israélienne en particulier. Mais cette session, en elle-même, était bien la démonstration de la réalité de cette démocratie. Tenir un débat publique, contradictoire, dans les formes, sur un principe constitutionnel, irresponsabilité/responsabilité législative !!! S’ensuivait la série des qualificatifs !!

Mais… Mais pas seulement….. Jonathan dressât l’oreille.

Pas seulement, car un des impétrants a vendu la mèche. Ou bien, s’il l’a fait volontairement, a annoncé le couleur. Ce qui est probablement le cas, car il est avocat. Et un avocat est payé pour savoir ce qu’il dit. En outre, avocat du Parlement. C’est-à-dire un lieu où on sait, en principe, ce que parler veut dire. C’est écrit dessus !

Le temps est venu a-t-il donc lancé dans sa plaidoirie, de s’écarter des fondements établis à l’origine de l’Etat, par 37 personnes. Par ailleurs, cerises sur le gâteau, non-élues.

Voilà, la messe est dite. Tout devient clair. Terminé le déploiement, par étapes successives, d’un programme-surprise de démembrement plus ou moins assumé du système institutionnel et politique régulant la vie publique en Israël depuis son origine. Terminé le temps de la fiction de simple modification du régime démocratique existant. Le temps de la molle dénégation de mise en place d’un régime théocratique. La réalité de l’ambition politique de moins en moins dissimulée derrière les mots de la majorité parlementaire actuelle, et le discours de son gouvernement, s’affiche enfin derrière les paroles de son avocat. La session tenue par la Cour Suprême a rendu cet autre service à la vie démocratique. Sa clarification.

Le citoyen israélien se trouve enfin devant une alternative simple et claire.

Confirmer sa fidélité aux principes génériques de l’Etat d’Israël établis par la Déclaration d’Indépendance par 37 personnalités pionnières : justice et paix, liberté de conscience, de culte, d’éducation, de culture, complète égalité de droits sociaux et politiques pour tous les citoyens sans distinction de croyance, race ou sexe. Confirmer son respect des Lois fondamentales, palliant l’absence d’une Constitution. Confirmer son adhésion aux règles d’un régime démocratique, équilibre des pouvoirs, défense des droits de l’homme, respect des minorités. Exprimer librement son choix d’un des programmes politique, social, économique proposé dors des cycles d’élections législatives.

Ou bien, confirmer son adhésion à la nouvelle définition proposée, maintenant clairement, de l’Etat et de la nation israélienne. Libérée d’un carcan idéologique déclaré dépassé et s’appuyant sur un double pilier. Le premier, lié à la réaffirmation des fondements religieux et historiques du peuple juif. Redonnant au judaïsme sa priorité et sa pleine autorité dans la structure et les pratiques de la vie politique, culturelle, éducative, sociale, militaire du pays. Le second, inspiré par une structure téléguidée, Kohelet, lié à une combinaison d’idéologie suprémaciste, défendant une identité culturelle prioritaire, opposée à au progressisme excessif, à l’universalisme, au multiculturalisme, et de nationalisme appliqué à la vie économique et financière, à la liberté individuelle et collective.

Alternative qui trouve immédiatement son application dans les phénomènes actuels majeurs auxquels est confronté la société israélienne, compléta son copain dans sa veine d’enthousiasme. Enfin, il comprenait mieux !! « Territoires occupés » ou « Judée et Samarie », selon les camps. Risque d’apartheid ou juste reconquête. Minorités de pleine citoyenneté ou réduites aux acquêts. Alliances internationales corrélées aux visions politiques. Justice et police de pleine autorité ou liées à la majorité législative. Economie et vie sociale dirigées ou libérées. Armée de tous ou armée sélective.

Pas tout à fait certain que cette clarification entraînait ce copain au véritable cœur de la situation, Jonathan entreprit d’approfondir sa vision. La soudaine sincérité des représentants de la coalition portait le fer sur le questionnement ultime. Israël, Etat juif ou Etat du peuple juif ? Si Etat juif, Etat juif et démocratique ? Comment résoudre cette contradiction ?

Son interlocuteur acquiesça. Face à ce questionnement ontologique, les scories telles que le statut judiciaire d’un Premier ministre, les gesticulations de ministre religieux incompétents, lui apparaissaient effectivement pour ce qu’elles sont. Misérables. Cette question, oui lui apparaissait par contre, à la hauteur de la session de la Cour sprême et du réveil affirmé des militants du samedi

à propos de l'auteur
Fort d'un triple héritage, celui d'une famille nombreuse, provinciale, juive, ouverte, d'un professeur de philosophie iconoclaste, universaliste, de la fréquentation constante des grands écrivains, l'auteur a suivi un parcours professionnel de détecteurs d'identités collectives avec son agence Orchestra, puis en conseil indépendant. Partageant maintenant son temps entre Paris et Tel Aviv, il a publié, ''Identitude'', pastiches d'expériences identitaires, ''Schlemil'', théâtralisation de thèmes sociaux, ''Francitude/Europitude'', ''Israélitude'', romantisation d'études d'identité, ''Peillardesque'', répertoire de citations, ''Peillardise'', notes de cours, liés à E. Peillet, son professeur. Observateur parfois amusé, parfois engagé des choses et des gens du temps qui passe, il écrit à travers son personnage porte-parole, Jonathan, des articles, repris dans une série de recueils, ''Jonathanituides'' 1 -2 - 3 - 4.
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