Che’hita : lettre ouverte au Grand Rabbin de France
Cher Monsieur le Grand Rabbin de France Haïm KORSIA,
Nous sommes un groupe constitué de Juifs francophones de plusieurs pays, dont la France et Israël, de toutes tendances confondues. Nous œuvrons en faveur de la défense animale en vertu de notre devoir et de notre responsabilité juive envers toute créature vivante. Fidèles à la voie de notre tradition biblique et de celle de notre conscience, nous avons décidé aujourd’hui de rompre le silence en vous soumettant un problème qui nous préoccupe depuis longtemps.
Uniquement mus par l’amour de notre peuple et de notre tradition respectueuse de toute vie, nous espérons que cette lettre trouvera une place favorable dans vos priorités communautaires.
Les terribles images d’animaux rituellement abattus dans les abattoirs révélées régulièrement par l’association L214 entre autres, ne sont pas sans susciter de nombreuses interrogations quant à la viabilité éthique de la che’hita.
Il nous semble plus qu’urgent d’ouvrir un profond et fécond débat d’idées sur celle-ci. En effet, l’abattage rituel, au même titre que celui des animaux non kashers, s’oppose au principe fondamental du respect de la vie.
Nous en expliquons succinctement les raisons ici :
La bénédiction du cho’het prononcée avant l’abattage d’un animal se fonde sur le verset biblique autorisant la consommation de viande par convoitise (Deutéronome 12 : 21). Le principe d’hédonisme, du goût de la viande, « le cimetière de la convoitise » (Nombres 11 : 34) doit-il véritablement l’emporter au détriment du respect du Principe de Vie et de l’interdiction déoraïta de faire souffrir les animaux ?
Pourtant, Rachi rappelle que le premier interdit dans la bible est celui de la consommation carnée (Genèse 1 : 29). Il est soutenu en ce sens par Rabbi Ibn Ezra, Na’hmanide et Rabbi Yossef Albo, grand défenseur de la cause animale. Dans son livre Ikkarim (III, 15), Albo rappelle qu’aux origines de l’humanité, la consommation de viande était défendue et que seuls les végétaux étaient destinés à la nourriture des créatures vivantes (Genèse I, 29). La licence accordée par la suite à Noé et à ses descendants (Genèse IX, 3) fut motivée par la nécessité de faire des compromis en raison du péché originel d’Adam & Eve, celui qui avait conduit l’humanité au Déluge.
L’autorisation concernant la viande fut soumise à des règles très strictes. Elle apparaît comme n’étant qu’une concession temporaire aux désirs des hommes. Le droit divin est précis pour éviter les abus. Mais il a été édicté dans un but. Il ne faut pas oublier l’esprit derrière les lois qu’il renferme. Le but sous-jacent à toutes ces lois est manifestement de protéger l’animal et d’abroger ses souffrances quand on ne peut s’empêcher de vouloir le consommer. Sa consommation n’est donc pas une obligation, bien au contraire.
Ainsi, nos Sages enseignent que depuis la destruction du Second Temple, la consommation de viande n’est en rien obligatoire, ni le shabbat, ni les jours de fêtes (Pessa’him 109, a).
Abattre un être vivant dont ne sera consommée en définitive que la partie antérieure, n’est-ce pas enfreindre le principe fondamental de « Bal Tach’hit- Tu ne détruiras point » (Deutéronome 20 : 19 ; Traité Shabbat 129, a) ?
Ne devrions-nous pas enseigner tout cela à nos enfants dès leur plus jeune âge ?
Au nom de la liberté religieuse, le droit juridique français accorde par dérogation la pratique de la che’hita dans les abattoirs. Mais, est-elle justifiée aujourd’hui compte tenu des violences inouïes auxquelles elle s’associe contre les créatures du Maître des mondes ? Toute mise à mort industrialisée s’accompagne nécessairement de violences.
Chaque matin, nous prononçons la parole des Psaumes : « Toutes tes œuvres, Tu les as faites avec sagesse » (Psaume 104 : 24). Dirions-nous en vain de telles prières ? Le droit à la Vie, accordé à toute âme au début de la Création peut-il être remis en question quand il s’agit de l’abattage d’animaux ?
Si, à l’origine des temps, Dieu ne voulait pas que nous consommions les animaux, avons-nous le droit moral de disposer de leurs vies comme nous le faisons aujourd’hui ? La loi hébraïque ne nous enjoint-elle pas de « recouvrir les sangs de l’animal que l’on ne saurait voir sans honte » ?
Dans le monde moderne, l’animal est un produit industrialisé et manufacturé. Les élevages industriels ont un but économique qui ne tient pas vraiment compte de l’intérêt des animaux. Ceux-ci subissent de cruelles conditions de transport et de manutention avant d’être amenés en abattoirs. En tant que Juifs, pouvons-nous continuer librement de cautionner et accepter tout cela sans mot dire ?
Le principe de n’infliger aucune souffrance aux animaux (« Tsa’ar Ba’alei HaYim »), est, sans conteste, bafoué tout le long des chaînes de productions, entraînant afflictions et supplices à leur encontre. Les animaux sont bourrés d’antibiotiques car ils sont souvent malades à cause de leur confinement.
Or, toute souffrance, maladie et peur infligée à l’animal avant la mort ne le rend-elle pas inéluctablement impropre à la consommation ? Comment la véritable che’hita peut-elle s’accommoder avec les filières de l’industrie bovine ?
Il n’échappe plus à personne qu’un être vivant doué de conscience et de sentiments subit un stress profond dû à son ressenti à l’approche de la mort. Comment la viande industrielle peut-elle être considérée comme kasher conformément aux règles de la kasherout ? Pouvons-nous séparer les règles de la Halacha et celles de l’Éthique ? Ne sont-elles pas fondées sur les principes fondamentaux de Justice et de Compassion ?
Pendant très longtemps dans l’esprit de nos maîtres il n’existait pas de moyen plus efficace que celui de la che’hita pour abréger les souffrances animales. Mais les consciences individuelles se sont agrandies grâce à Dieu. Il s’avère aujourd’hui qu’aucune évaluation scientifique n’a pu résoudre l’épineuse question de la non-souffrance chez l’animal lors de son abattage rituel. Ce qui nous importe donc n’est plus véritablement le mode de che’hita.
Les méthodes de l’étouffement, de l’électrocution et de la mort par balle ne sont pas moins cruelles et nous nous y opposons tout autant.
Il reste la solution de l’abolition totale de toute mise à mort animale, utopie pour certains mais réalité pour d’autres. Cette vision utopiste fut amplement développée par le Rav Avraham Its’hak HaCohen Kook qui était appelé à devenir le futur Grand Rabbin ashkénaze de l’État d’Israël. Dans son œuvre « Vision de l’idéal végétalien et de la paix » s’achevant par l’abolition totale de la che’hita, il présage d’un monde messianique harmonieusement pacifié.
La Tradition juive ne connaît pas la notion de fatalisme. Il en va donc de notre responsabilité personnelle et de notre volonté collective d’accélérer la venue d’un tel monde messianique.
Aujourd’hui, l’existence de végétaliens stricts de longue date, dont nous faisons partie, prouve qu’il n’est pas nécessaire de consommer des animaux pour vivre bien, confortablement et en bonne santé. Il y a un nombre de plus en plus élevé de végétaliens parmi les juifs de toutes les Nations. Ce n’est certainement pas un hasard si Israël est devenu le premier pays végétalien au monde. Le nombre de végétaliens par rapport au nombre d’habitants est le plus élevé. Cela indique un retour naturel vers le message divin originel que l’humanité avait perdu de vue : la vie de tout être vivant est importante et doit être respectée. Il est donc légitime que nous soyons le premier des peuples à ouvrir ce chemin pour pacifier toutes les Nations.
Nous croyons que le peuple d’Israël, dont la vocation est d’éclairer l’Humanité, doit plus que jamais concilier ces deux pratiques : celle de la Halacha et celle de l’Éthique.
Notre inaction dans ce domaine pourrait nous être reprochée par les générations futures.
En tant que Grand Rabbin de France et membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, nous pensons que vous êtes à même d’ouvrir le débat communautaire sur ce sujet, ou, pour le moins, le faire évoluer. Il devra être effectué dans le respect mutuel des cœurs et des consciences.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Grand Rabbin, l’expression de nos sincères salutations distinguées,
Haïm Ouizemann
Cosignataires :
- ABERGEL Shirley – Israël
- ALLIEL David – Israël
- AMOUYAL Liza – Israël
- AMOUYAL Sandrine – Israël
- AMOUYAL Yéhiel – Israël
- ANOUCHKA LEVITAN Ariane – Israël
- ARTERO Aurélie – France
- ATHLAN Evelyne – Israël
- BARNETT Caroline – France
- BELMER Béatrice – Israël
- BENKRITLY Nadia – France
- BLUM Bruno – France
- BLUM Rémi – Israël
- CASTRO Antoine – France
- CHICHE Véronique – Israël
- COHEN Odely – Israël
- DAN FISCHER Patrick – France
- DANA ADDY Karine – Israël
- DARMON Rachel – Israël
- DERAY Clara – France
- DOR BRIT Isabelle – France
- DOUIEB Yves – France
- DREYFUS Karine – France
- ELBAZ Florence – Israël
- ELGRABLY Sarah Laurence – France
- FISCHER Gérard – Israël
- FORMAN Ines – Israël
- GABAY Yael – Israël
- GEIS Cath – France
- GERSHON Bruno – Israël
- GHNASSIA Sacha – Israël
- GOLDFARB Henri – France
- GOLDFARB Rachel – France
- HALEVY MORENO Jane – Israël
- KLARSFELD Arno – France
- KTORZA Charles – France
- LABRE Ghislaine – France
- LAHMI Aurélie – France
- LAHMI Sabine – France
- LASCAR Evelyne – France
- LEIBOVICI Danièle – France
- LEVI SABATTINI Elisa – Israël
- LEVY-VALENSIN Géraldine – France
- MEIMOUN Rivka – France
- MEIMOUN Yves – France
- MONIQUET Claire – France
- OHAYON Ary – France
- OUIZEMANN Myriam – Israël
- OUIZEMANN Rachel – Israël-Canada
- OUIZEMANN Rivka – Israël
- POMERANTZ Roseline – Ile Maurice
- ROKAH Samuel – Israël
- ROZENBAUM Marc – France
- SAMOUN Nathan – France
- SARROUSSI Corine – France
- SCHOR Michèle – France
- SEBBAN Michel – France
- SEGAL Jérôme – France-Autriche
- SHROEDER Maria – France
- TABUTAUD Alice – France
- TAIEB Maïa – France
- TEBOUL Ariel – Canada
- VIDICK ATLAN Myriam – France
- ZANDER Mickael – France
- ZEITGER Sabine – Israël
- ZENOU Jenna – France
- ZOHAR Etty – Israël