Charlotte et Helga
Charlotte, tu étais belle,
En toi vibrait toute la sensibilité du monde,
Ce monde de la haine qui t’a chassée,
Qui t’a tuée;
Deux années, tu as peint les gens de ta vie,
Tu as peint la beauté,
Aussi celle de Michel Ange[1],
Tu as peint les mensonges,
Tu as peint la haine,
Tu as peint des assassins en couleurs,
Et en grand nombre, et tu as « fait connaissance avec la mort, mais tu es bel et bien ressuscitée »[2] dans ce théâtre de nos vies, que tu as peint et écrit.
Ce fut durant les deux dernières années de ta vie, tu avais vingt- six ans, le 10 Octobre 1943.
Charlotte est née à Berlin le 16 Avril 1917 ; en janvier 1939, après la Nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, Charlotte quitte Berlin pour Villefranche-sur-Mer avec son mari. Ils sont dénoncés, Charlotte et son mari sont arrêtés en septembre 1943, envoyés à Drancy, puis le 7 octobre à Auschwitz. Le 10 octobre, Charlotte, enceinte de quatre mois, est gazée. Son mari est gazé le 1er janvier 1944.
À partir de la fin de l’année 1940, Charlotte se consacre à « Leben? oder Theater? ». Elle termine un peu plus de huit cents gouaches et aquarelles qui montrent sa famille, ses amis, son enfance et sa jeunesse et tous les évènements qu’elle a traversés. Elle les accompagne de textes, de citations (Goethe, Nietzsche, …), et fait une large part à Alfred Wolfsohn, son professeur de musique qu’elle renomme Amadeus Daberlohn.
Peu avant son arrestation, elle confie son travail à un ami proche qui a pu le sauver.
[1] Charlotte a dessiné le plafond de la Sixtine et la Pietà Rondanini ; j’aime beaucoup son travail sur M. Buonarroti.
[2] Cette phrase est empruntée à Alfred Wolfsohn, dans son livre Orphée ou le chemin d’un masque :
J’avais maintenant fait connaissance avec la face de la mort, puisque j’étais bel et bien un ressuscité. Il ne me manquait plus que de faire connaissance avec l’autre face, la vie… » citée par Charlotte (p 249).
Helga, vous aviez neuf ans,
Vous avez commencé à tenir votre journal,
C’était en 1938, au moment de la mobilisation,
Trois année plus tard, le 7 Décembre 1941,
Vous êtes transférée dans le Ghetto de Terezin,
Trois années encore, et vous êtes transférées –
Votre mère et vous – à Auschwitz ,
Avant vous avez demandé à votre oncle de garder votre journal,
Ce qu’il a fait en le cachant dans un mur.
C’est la vie en mots et en dessin d’une petite fille dans l’horreur,
C’est la vie dure, tellement,
C’est intelligent, extrêment,
C’est beau, infiniment.
Helga Weissová est née le 10 Novembre 1929 à Prague, où elle vit encore après avoir passé près de trois ans dans le ghetto de Terezín, d’où, le 4 Octobre 1944, sa mère et elle ont été déportées à Auschwitz-Birkenau, puis à Freiberg, jusqu’à mi-avril 1945, quand elles sont évacuées à Mauthausen dans des wagons de charbon à ciel ouvert, presque sans nourriture et sans eau. Le voyage dure seize jours. Elles sont libérées, complètement épuisées, par l’armée américaine, dans le camp de gitans, le 5 mai 1945.