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« Cachez-moi le petit ! »

Seul l’amour pour les autres peut sauver un monde qui devient fou

Merci à The Times of Israel en français qui m’a proposé d’ouvrir un blog, et bienvenue aux futurs lecteurs.

Ce blog s’intéressera aux solidarités inter-confessionnelles du passé et du présent, d’où qu’elles viennent, qui ont apporté ou apportent des raisons d’espoir dans les temps troubles et troublés.

J’aimerais convoquer l’harmonie entre les êtres, parler de femmes et d’hommes admirables qui, au mépris de leur confort et de leur sécurité, peu préparés à ce qui s’est imposé à eux, ont su ou savent rester à l’écoute de leur cœur. Souvent dans la plus grande discrétion.

L’idée m’en est venue devant la radio qui, le 11 septembre 2016, diffusait l’émission « Talmudiques » de Marc-Alain Ouaknin. L’invité était l’écrivain et traducteur Georges-Arthur Goldschmidt, traducteur notamment de Franz Kafka, GAG pour la suite de cet article, un acronyme qui me paraît assez bien convenir à celui dont la vie est un condensé de paradoxes.

La preuve, cette phrase qui sert de préambule à son récent ouvrage Un Destin* : « Il s’agit dans ce livre de la destinée d’un citoyen français d’origine allemande et de confession protestante que Hitler fit juif.  » Lisez ce texte concentré, acide comme un fruit vert, qui peut aider chacun à réfléchir sans préjugé sur sa condition juive.

Je dégustais donc mon petit déjeuner en écoutant « Talmudiques » lorsque soudain, une affirmation vigoureuse de GAG m’alerta :  » Nul pays en Europe n’a autant caché les Juifs que les Français. »

En effet. Le site Akadem donne les chiffres : si l’on considère qu’environ 330 000 Juifs vivaient en France à l’automne 1940, ce qui inclut des réfugiés belges et néerlandais ayant fui leur pays en mai et juin 1940, ce furent 25% des Juifs de France qui moururent pendant l’occupation allemande, soit 75 000. Les trois-quarts des personnes de confession juive survécurent grâce à de nombreux Français qui les aidèrent et les accueillirent. À titre de comparaison, 42% furent déportés de Belgique et plus de 80% des Pays-Bas.

GAG fut d’abord caché par des paysans, parmi les vaches, et se souvient avec bonheur du temps où il se réveillait avec leur souffle sur le visage. « Qui sauve une vie sauve le monde, dit le Talmud, rappelle-t-il, et les Français ont été extraordinaires, mais on ne le sait pas assez. »  Il insiste notamment sur le rôle des curés de campagne, des moines, des religieuses, raconte qu’il était « planqué chez un curé italien, mussolinien, partisan de l’occupation allemande de la France et qui n’a pas hésité lorsque son vicaire lui a dit : cachez-moi le petit » .

Et nous, bien installés dans nos pantoufles, aurions-nous fait le saut ? Aurions-nous « caché le petit » ? Que faisons-nous aujourd’hui pour les migrants ? À peine les voyons-nous. C’est ce que découvre l’opticien de Lampedusa** dans le livre qui porte ce titre, un récit aussi vigoureux qu’une lame de fond, restitué par une journaliste de la BBC, Emma-Jane Kirby.

Lampedusa, rappelons-le, est une île italienne, minuscule, qui depuis 1992  et tout particulièrement depuis les printemps arabes de 2010, voit échouer sur ses plages des milliers de migrants – vivants ou morts.
La cinquantaine, l’opticien de Lampedusa est un homme ordinaire. Avec sa femme, il tient à sa manière consciencieuse l’unique magasin d’optique de l’île. Ils aiment les sardines grillées, les apéros en terrasse et les sorties en bateau avec les copains. Ses deux soucis : les charges qui ne cessent d’augmenter et l’avenir de ses deux fils.

Des migrants débarquent chaque jour. Il choisit de ne pas voir les mains qui se tendent. Une femme de la paroisse est passée lui demander s’il pouvait donner des vêtements ou des chaussures. Le nez sur son ordinateur, il ne lui a même pas répondu. Les migrants découragent les vacanciers – on risque de tomber sur un cadavre en allant se baigner – et puis il veut finir de vérifier ses comptes avant la promenade en bateau du lendemain.

La promenade serait superbe sans ces cris de mouettes, s’agace-t-il. Des mouettes, vraiment ? Non. Ce sont des humains happés par les vagues, qui tentent de surnager… Des hommes noirs, des femmes noires, des enfants noirs luttent à mort pour ne pas être engloutis. L’univers de l’opticien bascule. Et le bateau risquera de basculer lui aussi. La suite, je ne la raconte pas : au lecteur de la découvrir.

Seul l’amour pour les autres peut sauver un monde qui devient fou.

* Un destin
Éditions de l’éclat
Collection  Philosophie imaginaire
128 pages
Prix : 12 €

** L’Opticien de Lampedusa
Éditions des équateurs
Traduit de l’anglais par Mathias Mézard
160 pages
Prix : 15 €

à propos de l'auteur
Ecrivain, journaliste, membre de divers jurys littéraires. Née à Nice, Michèle Kahn a vécu ensuite à Strasbourg et habite à Paris. Ses romans fortement ancrés dans l'Histoire, très documentés et souvent inspirés par les péripéties du peuple juif, entraînent les lecteurs aux quatre coins du monde. Elle est l’auteur notamment de Shanghaï-la-juive et Cacao. Son dernier roman : « La fiancée du danger, Mademoiselle Marie Marvingt »
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