#BringBackOurBoys : Tsahal et la guerre médiatique
Souvent dépassée par internet et les réseaux sociaux depuis le kidnapping des trois adolescents israéliens jeudi soir, Tsahal a décidé de devancer les médias en faisant la promotion du mouvement « Bring Back Our Boys » en faveur de la libération des trois jeunes. Avec l’espoir d’ouvrir un nouveau front médiatique.
Un secret militaire quasi intenable
Vendredi 13 juin au matin, la rumeur enfle sur les réseaux sociaux : Tsahal est en train de mener une opération pour libérer des Israéliens enlevés en Cisjordanie. Combien sont-ils ? Deux, trois ? Où ont-ils été enlevés et par qui ? Personne n’est en mesure d’y répondre.
Le secret de l’opération étant conservé d’un commun accord entre Tsahal et les médias israéliens, ces derniers ne peuvent ni confirmer le kidnapping, ni infirmer les rumeurs les plus folles qui commencent à circuler : les otages auraient été libérés ! Résistant à l’envie sans doute immense de faire un scoop, les médias israéliens se taisent pendant des heures.
Seuls les sites internet étrangers non soumis à la censure de Tsahal, à commencer par l’agence de presse palestinienne Ma’an, vont diffuser la nouvelle de l’enlèvement de trois jeunes Israéliens et de l’opération de sauvetage en cours, au risque de mettre en péril la sécurité des jeunes et celle des soldats.
La censure militaire était-elle contre-productive, comme l’affirme le journaliste Amir Oren, pour qui le secret entourant l’opération de Tsahal n’a fait qu’alimenter la rumeur ? Si la « sacralité de la sécurité » (kdushat habitahon), vieille antienne défendue par Tsahal dans les années 1970, ne vaut plus pour chaque opération militaire, le secret apparaît toujours nécessaire. Il est même vital s’agissant des premières heures d’un enlèvement, si cruciales pour la vie des otages.
Visiblement dépassée par les informations circulant sur internet, Tsahal n’a d’autre choix que de rompre le silence pour rétablir les faits et tordre le coup à la rumeur d’une libération des otages. Vendredi à 16h, le porte-parole de l’armée révèle que trois adolescents ont été enlevés la veille au soir près de Hébron et que Tsahal et les services de Renseignement mènent depuis lors une vaste opération pour les retrouver.
A 17h15, le Premier ministre Benjamin Netanyahou publie un communiqué reprenant l’information sur le triple kidnapping, en accusant surtout Mahmoud Abbas et son gouvernement d’union avec le Hamas d’en porter la responsabilité.
L’information en accéléré
A peine la censure militaire est-elle levée qu’un flot d’informations avec son lot de spéculations déferle dans les médias. Les nouvelles arrivent pêle-mêle sur les trois adolescents, leur âge (entre 16 et 19 ans), leur nationalité (l’un d’eux est Américain) et les circonstances de leur enlèvement par un groupe palestinien, alors qu’ils faisaient du stop en rentrant de leur école talmudique dans la région du Goush Etzion.
Les photos des trois jeunes, les visages floutés ou non, ne tardent pas à circuler. Puis les caméras affluent dans le Goutsh Etzion, suivant la progression des forces spéciales de Tsahal, cherchant à décrypter la moindre image. Depuis vendredi soir repasse ainsi en boucle l’image d’une voiture calcinée dont on ne sait toujours pas à cet instant si elle a un lien, de près ou de loin, avec l’enlèvement.
Incroyables aussi ces images diffusées samedi sur la chaîne 10 d’un drone actionné par deux soldats de Tsahal, dont on peut aisément voir le visage et l’uniforme. Comme si la levée de la censure avait exonéré les journalistes de toute mesure de prudence.
Le pire est peut-être que cette surinformation n’est pas un gage de vérité. Apprenant que les jeunes revenaient du Goush Etzion, le site du Monde n’hésite pas vendredi soir à titrer sommairement : « Trois colons disparaissent » (titre modifié depuis, mais toujours visible sur l’URL original).
« Puisque ces mystères nous dépassent… » : devancer les médias
Au même moment, ce vendredi soir, un mouvement en faveur de la libération des trois jeunes apparaît sur les réseaux sociaux : #BringBackOurBoys. Initié par deux Israéliens (Michael Dickson puis Brian John Thomas alias Brian of London), sur le modèle du « Bring Back Our Girls » pour la libération des jeunes filles enlevées par Boko Haram au Nigéria, il consiste à poster un selfie sur Facebook muni du message « rendez-nous nos garçons ».
Si « Bring Back Our Girls » (dont on a dénoncé dans ce blog le « slacktivisme ») avait pour but d’alerter l’opinion internationale sur le sort des jeunes filles et de pousser les autorités nigérianes à les libérer, #BringBackOurBoys est quelque peu différent. Il ne s’agit pas de faire pression sur Tsahal pour libérer les trois jeunes : depuis jeudi soir, l’armée et les services de Renseignement ne travaillent qu’à ça. En revanche, il s’agit bien d’éveiller les consciences internationales sur la menace du terrorisme islamiste en Israël.
Mais est-ce en raison de l’heure tardive, de l’entrée de shabbat qui réduit l’audience, ou de la concurrence de la Coupe du monde de football, « Bring Back Our Boys » ne connait pas le succès fulgurant de son aînée. Samedi à 15h, la page Facebook totalise seulement 4 627 « Likes ».
Sur Twitter, le mot clé #BringBackOurBoys est déjà plus florissant, mais – chose rare – il est totalement parasité par un message concurrent : non plus la libération des trois jeunes Israéliens, mais la défense des Palestiniens.
#BringBackOurBoys devint ainsi en quelques heures le terrain de guerre virtuel sur Twitter entre pro-Israéliens et pro-Palestiniens, ces derniers monopolisant l’espace avec des messages de soutien aux prisonniers palestiniens actuellement en grève de la faim ou des photos montrant de jeunes Palestiniens arrêtés par Tsahal.
Le rebond se fera sur Facebook, le site préféré des Israéliens. Et le coup de pouce viendra de Tsahal. Samedi à 15h21, le site de l’armée israélienne décide en effet de promouvoir le mouvement #BringBackOurBoys en diffusant un message : « We Will do everything to #BringBackOurBoys » (« Nous ferons tout pour ramener nos garçons »).
Dépassée par les informations circulant sur le Net et face au risque d’une campagne diffamatoire circulant sous le même hashtag, Tsahal n’a donc d’autre choix que de devancer les réseaux sociaux en s’associant à #BringBackOurBoys. « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », disait Cocteau. L’intention de Tsahal est alors autant de refocaliser l’attention sur les trois jeunes Israéliens kidnappés que de lancer un nouveau front médiatique en faveur de leur libération.
#BringBackOurBoys : un nouveau front médiatique
Cette fois, les « Likes » se multiplient sur la page Facebook, dépassant toutes les attentes. Et suscitant bien des convoitises. Le succès est tel que la page est même hackée vendredi dans la soirée. Une autre page concurrente, dédiée aux Palestiniens, verra le jour sous le même intitulé mais avec moins de succès (une centaine de « Likes »).
Quand elle renaîtra sous une nouvelle URL quelques heures plus tard, la page Facebook « Bring Back Our Boys » affichera déjà plus de 23 000 « Likes ». On en dénombre plus de 36 000 à l’heure qu’il est, dimanche matin.
Quant au compte Twitter #BringBackOurBoys, il fait l’objet de 2 500 tweets par heure selon les dernières analyses. Un succès qu’il convient toutefois de relativiser. Contrairement à la page Facebook, dont le contenu est supervisé par les gestionnaires, le compte Twitter est laissé ouvert à tous les utilisateurs, sans aucun contrôle. Or, la plupart des messages laissés sur Twitter restent pro-Palestiniens. Autant dire que la guerre virtuelle se poursuit.
En soutenant la page Facebook #BringBackOurBoys, Tsahal espérait bien soulever dans le monde entier un mouvement de sympathie en faveur des trois jeunes Israéliens kidnappés mais aussi de tant d’autres qui vivent sous la menace du Hamas et des groupes terroristes islamistes. D’où le lancement d’un nouvel hashtag dès samedi soir : #VivreSousLaTerreur.
Car l’enjeu est bien de sensibiliser l’opinion internationale au terrorisme islamiste qui frappe Israël, au moment où les Etats-Unis, lassés par un énième échec du processus de paix, délaissent leur allié, déjà isolé, et reconnaissent le gouvernement d’union Fatah-Hamas.
Dans une conférence organisée samedi soir avec le ministre de la Défense et le chef d’état-major de l’armée, Benjamin Netanyahou avait autant à cœur de montrer sa détermination à retrouver les trois jeunes que de faire reposer la responsabilité de leur enlèvement sur Mahmoud Abbas et le gouvernement d’union Fatah-Hamas.
Evoquant les adolescents dont l’identité venait d’être révélée peu avant – Gilad Shaar (16 ans) originaire de Talmon, Naftali Frenkel (16 ans) de Nof Ayalon, et Eyal Yifrach (19 ans), d’Elad – le Premier ministre a assuré, comme un lointain écho au « #BringBackOurBoys » : « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir, et plus encore (…) pour retrouver ces enfants qui sont aussi les nôtres ».
Frédérique Schillo