Brèves d’autel
Non, je ne céderai pas à la tentation (en est-ce vraiment une ?) de vous parler de la première conférence de presse surréaliste de Donald Trump ni de la campagne pour la primaire de la gauche en France. Je suppose que les semaines à venir seront riches en sujets de réflexion sur ces questions qui n’apparaissent comme capitales qu’à ceux qui gardent leur âme d’enfant en croyant qu’il en sortira quelque chose d’important. – Non, cette semaine, laissez-moi méditer avec vous sur quelques réalités, faits divers ou bizarreries de notre monde. De quoi alimenter la conversation autour de vos repas shabbatiques ou dominicaux.
Commençons par les sujets réjouissants ; il sera bien temps de parler des autres. Cette semaine, nous avons appris que la Corse va être honorée par le B’nai B’rith le 29 janvier prochain au cours de la cérémonie des « 7 ménoras d’or ».
Le journal Corse-Matin, qui se fait l’écho de cet événement, explique que l’organisation juive « rendra un hommage exceptionnel à la population corse pour l’accueil et la protection des Juifs tout au long de l’histoire. Et ce, non seulement durant la période de la Seconde Guerre mondiale, mais également depuis l’indépendance gagnée par Pascal Paoli, jusqu’à la lutte pour l’indépendance d’Israël ».
C’est ainsi qu’en 1915; 700 Juifs syriens, chassés par les Grecs avaient trouvé refuge à Bastia et Ajaccio où ils purent fonder une école pour leurs enfants dans laquelle le corse était enseigné aux côtés du judéo-arabe et de l’hébreu.
Pendant la dernière guerre, les Juifs furent protégés tant par les autorités que par la population. Il n’y eut ni dénonciations, ni arrestations, ni déportations. Dans une récent interview à Corse Matin, Serge Klarsfeld avait souligné cette attitude exemplaire des familles de l’île de Beauté.
Il disait : « Au-delà de l’élan d’humanité, leur sens de l’hospitalité montre qu’elles étaient imperméables à la propagande antisémite ». A notre époque où nous voyons la haine des Juifs réapparaître, où certains de nos coreligionnaires ne se sentent plus en sécurité dans l’hexagone, comment ne pas être profondément reconnaissants envers les habitants de ce sympathique addendum insulaire qui, dans des heures tragiques pour notre communauté et pour notre pays, ont su donner une leçon de courage, de fraternité et de dignité ?
Un jour, peut-être, Yad Vashem devrait se poser la question d’accorder une médaille des Justes collective à deux de nos départements ?
Deuxième sujet de réconfort. Il nous vient de New York, plus précisément du métro de Brooklyn où, le 28 décembre dernier, une femme juive orthodoxe s’est fait agresser par un homme de 31 ans qui l’a frappée au point qu’elle en a perdu connaissance.
C’est alors qu’un lycéen de 17 ans du nom d’Ahmed Khalifa a fait stopper le train bondé afin que la femme puisse être prise en charge sur le plan médical. Puis il s’est lancé à la poursuite de l’agresseur et a contacté une patrouille de sécurité juive (Shomrim Jewish) qui a appelé la police, laquelle a pu arrêter l’individu et l’a présenté à la Cour criminelle de Brooklyn.
Lorsqu’au cours d’une cérémonie organisée par la communauté juive – qui lui a fait don d’un ordinateur portable pour sa prochaine rentrée universitaire – le jeune Ahmed a été félicité, notant au passage que c’était un Musulman qui s’était porté au secours d’une Juive orthodoxe, il a répondu : « Je suis juste un type normal. Je pense que tout le monde devrait agir comme ça parce que nous ne formons qu’un seul peuple, et je viendrais en aide à qui que ce soit, peu importe ce qu’il est. Je suis simplement content que les gens puissent réaliser que c’est comme ça qu’il faut faire ».
Évidemment, ce jeune Américain musulman a raison : ce qu’il a fait est normal ; c’est l’inverse qui ne l’est pas. Et pourtant, dans le monde actuel, les valeurs sont souvent inversées. C’est parfois difficile d’être « juste un type normal ».
Venons-en à ce qui fâche. Je sais qu’on va encore me reprocher de m’en prendre à un site juif israélien pour public francophone. J’ai nommé Torah-Box.com. Cette semaine, ils ont fait très fort. Je me contente de citer textuellement le courriel que j’ai reçu (vous pensez bien que je ne vais pas appuyer sur la touche unsuscribe ; les occasions de sourire sont trop rares).
Refoua-cheléma (guérison complète, NDLR) pour les malades du ‘am Israel (peuple d’Israël, NDLR). Nouveau ! Grâce à l’application « refoua cheléma » pour smartphone, finies les demandes de prières inefficaces envoyées par SMS que l’on envoie par dépit à tous nos contacts, ne sachant qui priera pour nos proches malades.
L’équipe Torah-box a mis au point une solution efficace. Grâce à cette application :
- Envoyez un nom de malade en deux clics, et l’info se partage dans le monde entier.
- Créez et partagez un Téhilim (psaume) en image au nom du malade.
L’outil conserve votre liste de malades. Vous mettez à jour leur statut afin d’informer si l’on doit continuer à prier pour eux ou pas. Vous pouvez également y lire les Téhilim directement.
Comme on voit, on n’arrête pas le progrès ! Je note : 1° Qu’il s’agit uniquement de prières pour des malades du peuple d’Israël. 2° Qu’avant le smartphone, les demandes de prières par SMS étaient « inefficaces » et anonymes puisqu’on ne savait pas qui prierait ou pas pour nos malades. 3° Que deux clics suffisent à ce que le monde entier prie pour eux (c’est ça la mondialisation). 4° Le nec plus ultra : que « l’outil conserve votre liste de malades ».
On peut la mettre à jour facilement en cas de guérison ou de mort, j’imagine.
5° Enfin, mais c’est vraiment une option, on peut prier soi-même en lisant l’application. – J’ai présenté cette « invention » comme prêtant à sourire. Je pense finalement que c’est plutôt à pleurer. Où en est-on arrivé pour suggérer un tel outil d’idolâtrie ?
Moïse, Maïmonide, réveillez-vous : ils sont devenus fous !
Je vais sans doute crouler sous les reproches de ces messieurs de Torah-box, comme la dernière fois que je les avais cités. Tant pis, j’assume. Je ne peux me résoudre à ce que notre religion, si belle et si humaine, soit ainsi tournée en dérision.
Enfin, comment terminer cette petite revue sans évoquer un grave manquement (je mesure mon propos) du bon François, sa Sainteté le Pape en personne. Jusqu’ici, je n’avais qu’à me louer de son élection. Il a eu des gestes, des paroles, des actes, des écrits qui honorent sa fonction. Pourquoi a-t-il fallu qu’à l’occasion de sa présentation de vœux au corps diplomatique, il commette un tel impair que celui de ne pas citer Israël parmi les pays victimes du terrorisme ? Je le cite :
« L’expérience religieuse, au lieu d’ouvrir aux autres, peut parfois être utilisée comme prétexte de fermetures, de marginalisations et de violences […] Je me réfère particulièrement au terrorisme de matrice fondamentaliste, qui a fauché encore l’année dernière de nombreuses victimes dans différents pays, en Afghanistan, Bangladesh, Belgique, Burkina Faso, Égypte, France, Allemagne, Jordanie, Irak, Nigeria, Pakistan, États-Unis d’Amérique, Tunisie et Turquie. Ce sont des gestes vils, qui utilisent des enfants pour tuer, comme au Nigeria ; ils visent celui qui prie, comme dans la Cathédrale copte du Caire, ou simplement celui qui se promène dans les rues de la ville, comme à Nice et à Berlin, ou simplement celui qui fête l’arrivée du nouvel an, comme à Istanbul ».
Simple oubli ? Cela paraît peu probable de la part d’un homme qui doit être entouré de nombreux conseillers. N’a-t-il pas voulu citer Israël parce qu’il juge que le terrorisme dont il est victime (encore cette semaine à Jérusalem) n’est pas d’origine djihadiste ? Je n’ose le croire car j’aime bien cet homme et je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises dans mes Lettres. Mais cette « omission » me paraît plus que regrettable, surtout s’agissant d’Israël qui permet aux Chrétiens de vivre paisiblement leur religion, contrairement à plusieurs pays qu’a cité le pape.
Nous recommençons une nouvelle année civile avec son lot d’espoir et d’amertume. Espérons que les vœux que nous nous sommes échangés pour cette shana goya, année civile (!) se réalisent, en particulier ceux de paix entre les peuples.
Daniel Farhi.