Bob Dylan dans le texte
Qui l’eut cru, une « rock star », Bob Dylan est un écrivain majeur de la seconde moitié du 20 siècle et de la première du 21ème. On connaissait sa posture révolutionnaire pour l’époque, son influence déterminante sur la musique pop des Sixties, seuls quelques éveillés ont trouvé qu’il était beau comme un Rimbaud, jusqu’à ce qu’il décroche le Prix Nobel de littérature en 2016 à la grande stupeur planétaire !
Une première dans l’histoire de l’humanité : une multitude de gens connaissent enfin le nom du nouveau prix Nobel, l’aime, le relieront et s’en souviendront ! Des réactions minables fusèrent en France sur l’abominable nouvelle. D’un plumitif : « Lui attribuer le Nobel de littérature, c’est affligeant (…) je trouve que l’Académie suédoise se ridiculise. » D’un autre, rageusement : « Je suis fan de Dylan, mais c’est une récompense nostalgique et malade arrachée aux prostates séniles de hippies bavards ». Je n’invente rien. Un autre, très en colère va encore plus loin dans l’audace : « Et pourquoi pas le Nobel de Physique aux Bogdanoff. ». Bref.
De mémoire, deux écrivains français ont sauvé l’honneur dans cette histoire : Philippe Sollers et Bernard Henri Lévy dans un texte intitulé « La cabale des vieillots » trouvable sur internet. Dylan s’écoute, mais surtout se lit. J’irai à l’essentiel, je parlerai de mes poèmes préférés. Quelques perles :
D’abord, entre toutes, « Chimes of Freedom »
Far between sundown’s finish an’ midnight’s broken toll
We ducked inside the doorway, thunder crashing
As majestic bells of bolts struck shadows in the sounds
Seeming to be the chimes of freedom flashing
« Bien après le coucher du soleil et avant que sonne minuit
Nous nous réfugions sous le porche, alors que la foudre frappait
Et que des éclairs grandioses chassaient l’ombre avec fracas
Ils ressemblaient aux carillons de la liberté qui étincelaient »
J’en ai toujours la chair de poule en l’écoutant.
Et puis la foudroyante « A hard rain‘s gonna fall » .
“Oh, what did you see, my blue-eyed son?
Oh, what did you see, my darling young one?
I saw a newborn baby with wild wolves all around it
I saw a highway of diamonds with nobody on it”
« Qu’as-tu vu, mon fils aux yeux bleus?
Qu’as-tu vu, mon cher petit?
J’ai vu un nouveau-né entouré de loups du désert,
J’ai vu un chemin de diamants avec personne dessus »
Mais encore “Tangeld up in blue” (version Bootleg, Take 3, Remake 2)
“Then she opened up a book of poems
And handed it to me
Written by an Italian poet
From the thirteenth century.
And every one of them words rang true
And glowed like burnin’ coal
Pourin’ off of every page
Like it was written in my soul from me to you,”
« Puis elle ouvrit un livre de poèmes
Et me le tendit
C’était écrit par un poète italien
Du treizième siècle.
Et chacun de ces mots sonnait juste
Et luisait comme des charbons ardents
Ils se déversaient de chaque page
Comme si c’était gravé dans mon âme rien que pour toi ».
Dylan grand lecteur de Dante…
Et la très subversive « It’s all right ma » comme une piqûre de rappel :
“That he not busy being born
Is busy dying.”
« Que celui qui ne s’occupe pas de naître
S’occupe de mourir. »
« Murder must fool » est son chef d’œuvre. La chanson dure 16 minutes, vous ne l’entendrez jamais en radio. Elle clôt l’album Rough and rowdy way, son dernier à ce jour. Elle évoque la mort odieuse de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas, d’une balle dans la tête. Dylan en a tiré une chanson bouleversante. Il convoque dans une synthèse inouïe toute la contre-culture des années 50/60. Son Juke box perso. Chanson testamentaire sur des accords très simples, épurés, batterie discrète, violoncelle, piano. Et surtout, sa voix. Dans la musique classique européenne on appelait ça « Un tombeau ».
Sans oublier « Ain’t talking, just walking ».
« Je ne parle pas, je marche ».
Comme un signe de sa profonde judéité.