Black & white

Il n’en croyait pas ses oreilles. Elle lui refaisait le coup « de la dernière minute ». Pour me faire pardonner d’avoir substitué, au dernier moment le thème de la situation pré nazi au thème de la Jeunesse, compte-tenu de l’urgence de sa dénonciation lui avait-elle dit. Et voilà ! De nouveau debout au centre du groupe, de nouveau elle s’excusait… Mais au moment où Israël est sous des attaques de tous bords, le langage vérité est crucial. Elle l’acheva d’ailleurs, avec un oxymore catégorique « La jeunesse est une urgence qui peut encore attendre ». Cette fois-ci, cependant sans avoir le front de se tourner vers lui. La pasionnaria, qui mérite bien son appellation pensa fortement Jonathan, annonça la couleur. Si l’on peut dire. Car il s’agissait de vérité « black & white ». D’opposer la réalité sans fard d’Israël aux représentations faussées qui servent à ses critiques, sinon à sa négation.

Oui, il y a bien une face sombre du pays. Carrément noir parfois. Que certains peuvent réfuter. Par idéologie. Mais les faits sont là. Les nier n’est que contre-productif.

On peut tenter de ne pas introduire de considérations politiques. Mais tout de même ! C’est de l’extérieur, et du plus précieux ami du pays, qu’est venue la dénonciation. Honteuse. Celle de l’action et des déclarations des ministres ultra-religieux, profiteurs pour leur communauté du pouvoir qui leur a été attribué. Celle des colons ultra nationalistes en Cisjordanie, exécutants décomplexés des pires exactions contre les communautés palestiniennes paysannes. Celle des forces armées participantes de ces exactions. Dénonciation qui ne peut être autre chose que dénonciation de faits avérés.

On peut aussi porter sur un journaliste israélien à la fois réputé et honni, le sceau de la critique systématique excessive. Mais tout de même ! A côté de ses articles d’opinion, que chacun peut évaluer en fonction de la sienne propre, il publie avec une régularité hebdomadaire inflexible, des articles factuels sur les attaques, sévices, saccages, vols, meurtres, que subissent les personnes et les villages palestiniens des territoires. Des reportages accusateurs, jamais contredits. Sans autre réaction que des communiqués stéréotypés, inconsistants des autorités militaires. Une litanie insupportable de dénonciation d’actes affreux, dans une indifférence assourdissante.

On peut s’en réjouir ou bien s’en plaindre selon son bord politique, mais la justice joue dans la vie démocratique israélienne un rôle régulateur, normatif, moral ; déterminant. On est obligé, par contre, de constater que la justice militaire présente des zones grises ou plus, difficilement défendables. Arrestations, emprisonnements, maintiens en détention répétitifs, sans jugement ni justification officiels. Des centaines d’enfants palestiniens arrêtés chaque année, présentés devant une cour militaire, incarcérés dans des conditions très sévères. Des conditions carcérales généralement très dégradées par surpeuplement des prisons et consignes de rétention punitives. S’ajoutent à une situation donc détestable, depuis la guerre de Gaza, la formation de camps de prisonniers, mal connus mais de très mauvaise réputation où s’exerceraient des sévices de toute nature.

On ne peut sortir de ce bilan noir, le drame de la guerre de Gaza en cours et son inévitable cortège de destruction humaine et matérielle. Étant donné son impact sur l’opinion mondiale et sa répercussion désastreuse sur la réputation de l’Etat d’Israël et sur l’image des Juifs. Mais on peut cependant le considérer à part du bilan global du “black“, dans la mesure où il s’agit ici d’une situation de guerre imposée, additionnelle à la vie habituelle de la société israélienne.

Pour achever ce tableau du noir, sa conséquence la plus grave. L’endormissement du sens moral, composante structurante de l’Israël des origines.

Voilà pour notre face “black”. Qu’il faut admettre au moins, combattre au mieux. Pour nous-mêmes et pour les autres. L’opposition à ces dérives, la reconquête de la dimension morale du pays, est déjà, deviendra encore plus, une composante essentielle du côté “white” israélien. Répondant ainsi à l’exhortation de Ben Gourion, « notre statut dans le monde ne dépendra jamais de notre supposée richesse matérielle, de notre puissance militaire, mais des qualités morales de nos actions ».

Car, envers et contre tous, il faut rappeler haut et fort, qu’Israël est une démocratie. A défaut d’être exemplaire, l’Etat israélien a le mérite de maintenir sa position d’avant-poste du monde démocratique dans un environnement régional théocratique hostile. Un mérite totalement oublié par des contempteurs aveugles, acculturés.

On ne dira jamais assez, non plus, la dimension extraordinaire de la mobilisation de toute la nation, toute entière, qui a répondu instantanément le 8 octobre à la catastrophe insoutenable du 7 octobre. L’engagement spontané, immédiat, total, de toute la nation. Exprimant le sens retrouvé de fraternité de la grande famille nationale. Avec, au sein de cette famille, la révélation d’une jeunesse magnifique, solidaire, responsable, réactive, courageuse. Israël is back ! L’énergie vitale initiale, qui lui a fait vaincre toutes les attaques, transformer un pays aride en pionnier économique, scientifique social, culturel, ressurgit devant une épreuve ultime.

On ne relèvera jamais assez, également, un caractère unique. Révélateur de la solidité confirmée du lien sociétal établi en Israël entre les diverses minorités arabes et la majorité juive. Druzes, Bédouins, de façon active, héroïque, Arabes musulmans en retenue et responsabilité, se comportent tous en citoyens israéliens, solidaires, offrant ainsi aux pays critiques, eux-mêmes encombrés par leur propre diversité, un exemple d’unité interconfessionnelle.

On peut, on doit aussi, intégrer dans ce bilan du bon, un paradoxe s’opposant à toutes les idées simples acquises. Les implantations sauvages dans les territoires occupés sont effectivement condamnables. Mais dans ces territoires, s’est créé un réseau d’îlots de prospérité, de modernisation, avec les implantations contrôlées, maintenant enracinées dans leur contexte local. Offrant des opportunités de travail à toute une population palestinienne environnante. Constituant l’embryon d’une voie riche de collaboration israélienne-palestinienne si le blocus politique advenait à s’effacer.

Se tournant alors vers un Jonathan attentif, silencieux, comme pour faire valoir une excuse, la toujours passionnaria de pleine conviction enchaîna.

On pourrait charger encore la barque du “White”. La libération des femmes arabes israéliennes par l’accès et le succès par l’éducation, la balle dans le pied que se tirent les étudiants étrangers, véritables illettrés contestataires, en revendiquant le boycott des universités israéliennes. Qui se trouvent constituer un des plus beaux fleurons du savoir universitaire mondial… Mais là n’est pas la raison de ce second hold-up de la parole. L’urgence tient à la nécessaire reconnaissance interne du ‘’Black’’. Pour rendre extérieurement, plus crédible, plus visible, plus convaincant, la démonstration du “White”.

Et, dans un sourire désarmant toute possibilité de protestation, « Promis, la prochaine fois, je sors de notre petit monde, je vous parle de la vraie question majeure, la Jeunesse !! » .

Inch’Allah, lui répondit spontanément Jonathan.

à propos de l'auteur
Fort d'un triple héritage, celui d'une famille nombreuse, provinciale, juive, ouverte, d'un professeur de philosophie iconoclaste, universaliste, de la fréquentation constante des grands écrivains, l'auteur a suivi un parcours professionnel de détecteurs d'identités collectives avec son agence Orchestra, puis en conseil indépendant. Partageant maintenant son temps entre Paris et Tel Aviv, il a publié, ''Identitude'', pastiches d'expériences identitaires, ''Schlemil'', théâtralisation de thèmes sociaux, ''Francitude/Europitude'', ''Israélitude'', romantisation d'études d'identité, ''Peillardesque'', répertoire de citations, ''Peillardise'', notes de cours, liés à E. Peillet, son professeur. Observateur parfois amusé, parfois engagé des choses et des gens du temps qui passe, il écrit à travers son personnage porte-parole, Jonathan, des articles, repris dans une série de recueils, ''Jonathanituides'' 1 -2 - 3 - 4.
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