Bibi pourra-t-il mener sa politique de godille jusqu’aux prochaines élections américaines ?

Bibi a non seulement raclé les fonds de tiroir, en réunissant ses dernières ressources et en récupérant les restes, pour remporter les dernières élections, il a ensuite fait des promesses fallacieuses dans le cadre des accords de coalition en vue de former son gouvernement, et procéder à des nominations contre nature qui ne pouvaient que nuire à l’avenir du pays.

Il a d’abord rassemblé tous les peu ou prou Kahanistes sur un même ticket électoral. Otzma Yehudit de Ben-Gvir, le symbole de l’extrême droite radicale et Noam d’Avi Maoz, bien connu pour ses positions anti LGBT. Il a ensuite réuni le Parti Sioniste Religieux de Smotrich et Habayit Hayehudi de Hagit Moshe. Parmi eux, des gens pas toujours fréquentables, ne jouissant pas d’une grande légitimité sur la scène politique israélienne. On se souviendra notamment du refus puis de la répugnance de Bibi à être filmé en compagnie de Ben-Gvir pendant la campagne électorale. Quant aux promesses fallacieuses, on retiendra surtout celles faites aux partis ultra-orthodoxes sur l’adoption d’une loi sur l’exemption pure et simple du service militaire obligatoire pour la jeunesse du monde ultra-orthodoxe, ainsi que la promesse de promulguer une Loi fondamentale accordant aux étudiants des yeshivot le même statut et les mêmes droits que les appelés qui servent dans les unités combattantes. Des accords qui ont provoqué la colère des autres Israéliens, y compris au Likoud. Concernant les nominations contre-nature, il serait fastidieux d’en donner ici une liste exhaustive, aussi nous ne mentionnerons que celle de Ben-Gvir à la Sécurité intérieure, rebaptisée Sécurité Nationale pour la circonstance, et celle de Smotrich aux Finances, également nommé ministre au ministère de la Défense chargé de l’Administration civile dans les Territoires.

Dans ces deux cas, cela revient à confier au loup la garde de la bergerie.

Petit rappel : Ben-Gvir a été inculpé plus de 50 fois pour incitation à la violence et à la haine. Il a été condamné pour racisme et pour soutien à un groupe terroriste. Il a été interdit de se présenter aux élections dans les années 90, alors qu’il était listé comme terroriste par les autorités israéliennes et américaines. Quant à Smotrich, en apparence plus acceptable, il ne fallait pas être grand clerc pour anticiper les conséquences catastrophiques de sa nomination à des postes clés, vu la récurrence de ses déclarations de suprémaciste juif et son ambition d’annexer les Territoires.

En vieux routier de la politique israélienne, Bibi connaissait très bien les carences de ses nouveaux alliés et les abus auxquels ils allaient s’adonner vu les pouvoirs qu’il leur conférait. Pourquoi Bibi s’est-il jeté dans un tel gouffre ? Pour récupérer le Pouvoir et s’y maintenir semble être la réponse évidente. Moins évident cependant est de savoir pourquoi est-il prêt à tout pour conserver l’exercice du pouvoir ? La cause serait-elle la cratophilie ? Un amour fou du pouvoir qui se transforme en pathologie narcissique, qui provoque des comportements aberrants, et peut même rendre fou et stupide celui qui en souffre. Autres causes évoquées, la paix du ménage, éviter de subir les foudres de Sarah, ou bien de faire de son fils Yaïr l’héritier du trône comme cela se pratique dans la région pour éviter de recourir à des élections libres et transparentes. Ou alors, tout simplement, afin d’éviter la prison et de faire annuler son procès ! Qu’importe en fait les motifs et les ressorts qui poussent Bibi à précipiter la désintégration d’Israël – du pays, de l’État et du peuple qu’il a pris en otage. Si la question manque de pertinence, c’est qu’il y a urgence en la demeure. Idem pour la question de savoir si c’est Bibi ou le trio Ben Gvir-Smotrich-Yariv Levine qui dirige le pays. C’est à lui, Bibi, le Premier ministre qu’incombe la responsabilité de l’avenir du pays.

Est-il encore nécessaire de s’appesantir sur l’ampleur de la crise ? Lors de sa campagne électorale Bibi avait souligné trois projets politiques : restaurer la gouvernance, garantir le pouvoir d’achat et résoudre la menace iranienne. Il n’avait absolument pas été question d’une refonte judiciaire, mais c’est pourtant depuis le 4 janvier dernier, date à laquelle Yariv Levine a annoncé son projet de révolution judiciaire, que le pays a commencé de se désintégrer.

Restaurer la gouvernance ? On enregistre une hausse vertigineuse du nombre d’attentats terroristes et du nombre de Juifs tués dans les Territoires (37 à ce jour). Le nombre de meurtres dans le secteur arable a augmenté de 200 % par rapport è l’année dernière, alors que le plan Segalovich du gouvernement précédent avait fait baisser de 17 % cette statistique. L’insécurité règne dans les localités arabes et les quartiers arabes des villes mixtes. Les criminels jouissent aujourd’hui d’une certaine immunité, et de plus en plus de rapports font état d’une connivence entre les pègres arabes et juives en Israël, ainsi qu’entres les criminels du secteur arabe et les terroristes des Territoires, notamment sur le trafic d’armes. On craint maintenant que cette violence meurtrière ne se propage dans tout le pays, si rien de sérieux n’est entrepris.

Le pouvoir d’achat ? La dévaluation du shekel, la baisse considérable des investissements étrangers et les luttes au ministère des Finances entre les hauts fonctionnaires et les représentants du gouvernement témoigne aussi d’une ineptie en matière économique. Pas rassurant non plus le dernier rapport de Fitch, même si l’agence n’a pas déclassé le crédit d’Israël, parce que Bibi a réussi à sauver les apparences en faisant croire qu’il n’y aura plus de décisions unilatérales sur la refonte judiciaire. Les représentants de l’autre agence de notation Moody’s sont attendus en octobre, mais Bibi s’arrangera sûrement pour qu’il n’y ait rien de nouveau d’ici là sur le front de la refonte judiciaire.

On remarquera d’ailleurs que cela est vrai pour tous les autres fronts. La véritable politique de Bibi est la Godille… Godiller, cela permet une grande maniabilité de l’embarcation dans les endroits étroits ou encombrés d’obstacles. Bibi contrôle sa trajectoire par un enchaînement de virages rapides – à droite, à gauche ! D’un côté, il laisse entendre la fin du processus devant conduire à un bouleversement du régime politique, d’un autre côté on entend Yariv Levine, Rothman et autres annoncer que ça va continuer et que la prochaine étape sera la “réforme” de la commission de nomination des juges. Un coup mortel pour la démocratie. Et il en va de même sur la conscription et tous les autres dossiers. Bibi se veut rassurant, conciliant et soudainement, il vire à droite toute. Cette politique de la godille lui permet de ne rien décider sur les dossiers cruciaux, attendre de voir venir la direction du vent et d’arriver ainsi jusqu’aux élections américaines avec l’espoir d’une victoire de Trump qui devrait lui permettre d’avoir les coudées franches quant à ses ambitions constitutionnelles.

Le pays peut-il se permettre de rester pratiquement sans gouvernance jusqu’à cette échéance ? Cela nous renvoie à la troisième promesse électorale de Bibi.

La menace iranienne ?  Bibi n’avait pas prévu de plan B quand il avait convaincu Trump d’annuler l’accord sur le nucléaire iranien. Cette fois-ci, il a peut-être des plans militaires, mais en quelques mois il a accompli ce que les ennemis d’Israël n’ont jamais réussi à faire : mettre à mal la cohésion de Tsahal et affaiblir les capacités militaires de l’armée. Les responsables de la Défense, de Tsahal, du Mossad et du Shin Bet sont tous inquiets. Ils estiment que la “refonte judiciaire” provoque la désintégration de l’armée du peuple. Une armée qui repose sur la conscription universelle, une conscience collective forgée dans la mobilisation des unités de réserve. Une conscience collective qui favorise la disponibilité des citoyens à revêtir à tout instant l’uniforme. Or, les responsables s’interrogent sur le manque de préparation de Tsahal, sur la motivation de servir dans les rangs de l’armée et prennent en compte le mouvement de protestation des réservistes (volontaires), notamment dans l’armée de l’air, les Forces spéciales et le Renseignement. Tsahal est-il prêt à la guerre ? “Nous avons jusqu’à la fin de l’année…, pas plus”, a affirmé Amikam Norkin, ancien commandant en chef de l’armée de l’air.

Dans ce contexte, une autre date pourrait être fatidique. Le 12 septembre, date à laquelle les 15 juges de la Cour suprême doivent se prononcer sur les pétitions contre la loi sur l’annulation de la raisonnabilité. Les juges savent qu’ils peuvent contourner l’absence de cet outil dans leur arsenal judiciaire, mais quel adresseraient-ils au peuple, s’ils décidaient de ne pas intervenir ? Reculer devant le chantage ? Se défiler dans leur mission de protéger l’État de droit, la démocratie, et les principes de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël ? A noter, la Déclaration du 14 mai 1948 pourrait encore servir de plus petit dénominateur commun alors que le peuple connait une profonde division et que la cohésion de la société civile est déjà bien entamée.

Reste que si les Juges annulent la loi sur l’annulation de la raisonnabilité, les actions du gouvernement pourraient alors devenir illégales, ce qui risque de plonger le pays dans un chaos constitutionnel, surtout que Bibi et beaucoup de ses ministres ont refusé de dire s’ils allaient ou non se soumettre à la Loi dans une telle éventualité. Nous verrons alors si Herzi Halevi, Ronen Bar et David Barnea, respectivement les plus hauts responsables de Tsahal, du Mossad et du Shin Bet sauront se montrer dignes de leur mission de défendre le pays et ses institutions en s’affichant clairement comme les véritables gardiens de la Démocratie.

à propos de l'auteur
Docteur en philosophie de l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne) Ancien journaliste à Kol Israël (Kan) et au journal en ligne Proche-Orient.Info
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