Bibi, cette fois, à fond !

Le chef du Likud, Benjamin Netanyahu, vu après des entretiens de coalition avec le président du Shas, le député Arie Deri, et le chef du parti religieux sioniste, le député Bezalel Smotrich devant un hôtel à Jérusalem, le 5 décembre 2022. Photo de Yonatan Sindel/Flash90
Le chef du Likud, Benjamin Netanyahu, vu après des entretiens de coalition avec le président du Shas, le député Arie Deri, et le chef du parti religieux sioniste, le député Bezalel Smotrich devant un hôtel à Jérusalem, le 5 décembre 2022. Photo de Yonatan Sindel/Flash90

Ces lignes sont écrites alors que les négociations pour la formation du nouveau gouvernement Netanyahou battent leur plein. Tous les deux jours, on nous annonce une « crise », untel a quitté furieux la salle de réunion, un autre menace de faire « exploser » les discussions, etc.

En fait, on amuse la galerie et les commentateurs ont ainsi de quoi remplir les longues heures d’information télé et radio, les colonnes des journaux, les sites internet d’actualité; il est clair pour tout le monde que le chef du Likoud et ses alliés finiront sans aucun doute par aboutir à la constitution d’un gouvernement, qui changera le visage et l’histoire d’Israël.

Je n’ai jamais voté à droite, la personnalité de Netanyahou m’inspire une peur et une répugnance profondes, je l’ai vu à l’oeuvre sous Rabin et peu nombreux sans doute sommes-nous aujourd’hui à ne pas avoir oublié de quoi il est capable. Je constate jusqu’où il peut aller dans le cynisme, le mensonge et la pyromanie, il suffit d’écouter ses anciens fidèles qui ont rompu avec lui, tous toujours à droite cependant, (Gideon Saar, Limor Livnat, Zeev Elkin, la liste est longue) pour en avoir le coeur net.

Je le vois mener des années une campagne forcenée contre les juges, les médias et le monde académique, tenter de saper tous les contre-pouvoirs qui assurent l’équilibre des systèmes démocratiques, et lâcher ses nervis sur ses adversaires, pour exprimer ensuite, pas toujours d’ailleurs, des condamnations de façade; demandez par exemple ce qu’il en est à Benny Begin, le fils du chef historique de la droite israélienne et fondateur du Likoud Menahem Begin, lui-même longtemps parmi les leaders et députés de ce parti, agressé par eux il y a un an, à 78 ans.

J’ai donc peu de titres pour m’adresser à Binyamin Netanyahou, et pourtant je le fais depuis ce blog en lui demandant, en l’implorant même: monsieur Netanyahou, s’il vous plaît, cette fois, gouvernez et allez jusqu’au bout de vos proclamations et de celles de vos associés au pouvoir !

Vous avez une solide majorité, il n’y aura plus de « belles âmes » comme Lapid, Livni ou d’autres pour vous empêcher de mettre en oeuvre l’idéologie de la droite que vous incarnez, comme ce fut le cas dans vos précédentes coalitions; vous êtes libre de gouverner avec vos alliés kahanistes, suprématistes juifs, racistes, xénophobes, homophobes, dont pas mal de députés du Likoud partagent d’ailleurs les positions, on l’oublie trop souvent.

Ce ne sont en effet pas Ben Gvir ou Smotrich qui ont qualifié les Soudanais arrivés en Israël de « cancer dans notre corps », mais bien votre fidèle ancienne et future ministre Miri Reguev (article ici, hébreu); ce ne sont pas les deux leaders de notre extrême-droite religieuse qui ont parlé de la « race juive » (!) comme du « meilleur capital humain », mais bien votre jeune protégé du Likoud Miki Zohar, président de la coalition dans votre dernier gouvernement.

Mais revenons à nos moutons. Allez-y donc une fois pour toutes, monsieur Netanyahou !

1/ D’abord et avant tout, neutralisez le pouvoir de la Cour Suprême, comme le réclame la droite, laïque comme religieuse, depuis des années maintenant. Faites-le! Changez la composition de la commission de nomination des juges, pour y donner une majorité aux politiques, c’est-à-dire à vous-même; faites nommer des juges à votre botte; empêchez que ladite Cour suprême puisse déclarer non-constitutionnelles des lois scélérates que vous ferez voter, comme elle a pu sauver l’image d’Israël à plusieurs reprises dans le passé.

L’indépendance des juges en Israël a toujours été le dernier obstacle entre Tsahal et la Cour internationale de justice de La Haye. Tous les diplomates, juristes, représentants et défenseurs d’Israël en tous genres, le soussigné inclus, ont toujours brandi cet argument dans leurs négociations, entretiens et briefings divers.

Cassez donc cette institution, qui d’ailleurs, contrairement à son image, a souvent été bien complaisante avec ce que nous faisons dans les Territoires. Vous parlez bien, monsieur Netanyahou, vous saurez donc certainement expliquer aux parents des soldats de Tsahal comment et pourquoi les premiers actes d’accusation contre eux seront présentés à La Haye et ailleurs.

2/ Changez le statut quo sur le Mont du Temple. Permettez à Ben Gvir de monter pour y prier, d’ailleurs il ne vous en demandera pas l’autorisation (le Golem que vous avez créé vous dévorera à terme, je l’espère). Passant outre à l’interdiction du Grand rabbinat et du rav Kook père, mentor du sionisme religieux, les jeunes et moins jeunes fanatiques messianiques de ce même sionisme religieux mettront le feu à ce lieu saint pour le judaïsme et pour l’islam, et tout ce que nous avons vu jusqu’ici ne sera qu’une agréable promenade en comparaison de ce qui s’y produira. Les pays des accords d’Abraham, pourtant si complaisants, et le Maroc, ne pourront, même s’ils le veulent, rester indifférents à cette nouvelle situation.

3/ Annexez enfin les Territoires ! Un seul Etat de la Méditerranée au Jourdain ! Et enfin, enfin, la concrétisation du dilemme qui a nourri, ou dois-je dire pourri, le débat politique en Israël depuis plus de 55 ans : démocratie ou apartheid ? Vous ne pourrez pas donner le droit de vote à la Knesset aux millions de Palestiniens qui y vivent, pour des raisons évidentes de perte à court terme de la majorité juive; en ne leur donnant pas ce droit, vous créerez officiellement un système d’apartheid qui sortira forcément la communauté internationale et une grande partie de la Diaspora juive de son honteux silence actuel.

4/ Développez à tout le moins au maximum les implantations dans les Territoires, si vous temporisez sur l’annexion. Continuez à investir, à construire et à confisquer des terres, à soutenir par votre inaction la violence de trop de colons contre les agriculteurs palestiniens; continuez à envoyer les jeunes Israélien/nes à faire la police dans ces régions, à faire de trop de passages de Palestiniens aux barrages routiers des séances d’humiliation. Un jour, bien de ces jeunes finiront quand même par se demander pourquoi et pour qui ils doivent risquer leur vie, alors que des dizaines de milliers de jeunes orthodoxes, tenants du « Grand Israël » (sans danger pour eux), échappent pour leur part au service militaire ?

5/ J’ai déjà pas mal demandé, mais je me permets encore une requête : augmentez, comme vous l’avez promis, le budget de l’enseignement orthodoxe (‘haredi), pour le rendre égal à celui de l’enseignement d’Etat.

Oui, ce système éducatif orthodoxe qui n’enseigne ni les maths, ni l’anglais, ni presque rien qui puisse préparer l’enfant de famille orthodoxe à gagner sa vie dans le monde moderne, donnez-lui l’argent nécessaire pour perpétuer l’ignorance, l’obscurantisme et leur enfant commun: la misère.

Le chef de Yahadout HaTorah et semble-t-il futur ministre du logement, Itzhak Goldknopf, ne nous disait-il pas le 15 octobre dernier: « Je ne pense pas que l’enseignement des mathématiques et de l’anglais dans les écoles profite à Israël » ? Peut-être qu’à terme, les laïcs de ce pays et la frange, malheureusement réduite, du sionisme religieux qui n’a pas sombré dans le délire national-messianique, comprendront-ils enfin qu’ils sont la vache à lait d’un public dont une grande partie, qui comme le déclara lors de la première vague du Covid-19 le professeur Motti Ravid, pendant 16 ans directeur de l’hôpital orthodoxe Maayané HaYeshouah de Bné-Brak, « s’est habitué à tout recevoir sans jamais rien donner » ?

Allez-y, Binyamin Netanyahou, le « peuple » est avec vous. Faites tomber le masque ! Israël n’est plus une démocratie au plein sens du terme depuis longtemps. Un pays qui opprime un autre peuple depuis plus de 55 ans, où les rabbins orthodoxes décident qui peut se marier avec qui, qui impose l’arrêt des transports publics un jour par semaine et alloue des budgets différents à chaque enfant en âge scolaire selon son ethnie et le courant scolaire auquel il appartient (26% de plus en 2021 à un élève de l’enseignement d’Etat religieux qu’à son égal dans l’enseignement d’Etat laïc, les Arabes encore moins soutenus), ne peut s’appeler « démocratie ». Je compte sur vous pour que ce soit enfin compris partout.

Nous devrons sans doute passer par bien des crises, voire des drames, pour qu’enfin, la majorité des Juifs de ce pays comprennent que les lois de la démographie, de l’économie et des relations internationales s’appliquent à eux aussi et que non, aucune « puissance supérieure » ne viendra nous tirer des gouffres où nous nous serons enfoncés.

Seules les leçons que nous aurons apprises de la façon la plus pesante sur le prix de la folie national-messianique et de la corruption au sommet de l’Etat nous remettront sur le droit chemin, en supposant, avec quelque optimisme, qu’il ne sera pas trop tard pour relever les ruines.

Finissez donc le travail, monsieur Netanyahou, construisez-nous quelque chose entre la Hongrie et l’Iran, pour qu’enfin tous, ici comme dans la Diaspora et à travers le monde, sachent qui est qui !

Bonne chance à vous, et bonne chance à nous tous et toutes également.

à propos de l'auteur
Né à Bruxelles (Belgique) en 1954. Vit en Israël depuis 1975. Licencié en Histoire contemporaine de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Ancien diplomate israélien (1981-1998) avec missions à Paris, Rome, Marseille et Lisbonne et ancien directeur de la Communication, puis d'autres projets au Keren Hayessod-Appel Unifié pour Israël (1998-2017).
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