Ben Gvir, fidèle à l’idéologie kahaniste

Itamar Ben Gvir revendique toujours son appartenance au courant et à l’idéologie du rabbin Kahana et ne se cache pas d’être son disciple. Le rabbin américano-israélien, Meir Kahane, né à Brooklyn, a immigré en Israël en 1971 et a été assassiné à New-York en 1990 par un illuminé immigrant égyptien, El Sayyid Nosair.
Il a été enterré au cimetière de Givat Shaul à Jérusalem. Le parti nationaliste juif de droite Otzma Yehudit (force juive), qui a adopté l’idéologie de Kahane, s’est allié aux sionistes religieux de Bezalel Smotrich et ont obtenu 14 sièges à la Knesset, leur donnant ainsi la possibilité d’entrer dans un gouvernement Netanyahou.
Le paradoxe est que Ben Gvir n’a pas fait son service militaire et qu’il postule le poste de ministre de la Sécurité publique qui contrôle la police et les services sécuritaires intérieurs et qui a en charge la politique autour de la ville de Jérusalem, y compris l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa.
Ben Gvir, né à Jérusalem de parents immigrants irakiens ultra-orthodoxes, avocat au Barreau, s’est spécialisé dans la défense des Juifs des implantations souvent inculpés pour violence envers la police ou envers des Arabes. Lui-même a été inculpé, en 2007. Le tribunal de première instance de Jérusalem l’avait condamné pour soutien à une organisation terroriste et incitation au racisme pour avoir porté une pancarte «Expulsez l’ennemi arabe, Rabbi Kahane avait raison, les députés arabes sont la cinquième colonne».
Dans son verdict, le juge Lee Ran avait écrit : «Je crois qu’une affirmation selon laquelle les paroles de l’accusé constituaient un soutien à une organisation terroriste peut placer la liberté d’expression au sommet d’une pente glissante dans laquelle les expressions en marge du discours légitime pourraient être interdites».
Ben Gvir, exprime des opinions sur les Arabes et les Palestiniens inspirées de l’idéologie kahaniste et prônées par Kach (Ainsi), parti politique ultranationaliste juif orthodoxe radical, qui a existé en Israël de 1971 à 1994. Le parti a obtenu un seul siège à la Knesset en 1984 mais a ensuite été interdit de participer aux élections en 1988 en vertu de la loi électorale de la Knesset interdisant les partis qui incitent au racisme.
Le parti a également été interdit de se présenter aux élections de 1992 puis a été purement et simplement interdit en 1994. Ce groupe kahaniste est considéré comme une organisation terroriste par Israël, le Canada, l’Union européenne, le Japon, et les États-Unis.
Devenu rabbin, Kahana avait été un partisan du sionisme dès son plus jeune âge et il avait fondé en 1968, la Ligue de défense juive qui avait pour objectif de protéger les Juifs contre l’antisémitisme. Il avait alors critiqué les restrictions imposées par l’Union soviétique à l’émigration juive à ses débuts, mais sa ligue devait vite virer vers la violence.
En effet, un de ses militants, Earl Krugel, avait été emprisonné pour avoir comploté en vue de faire sauter une mosquée californienne et le bureau d’un membre du Congrès libano-américain Darell Issa. La Ligue avait aussi appelé à l’expulsion forcée de tous les Arabes d’Israël et des implantations.
L’incident le plus notoire a eu lieu en 1994, lorsque Baruch Goldstein, partisan américano-israélien du Kach, a abattu 29 Palestiniens dans le Caveau des Patriarches, en Cisjordanie. Le portrait de Baruch figure en bonne place dans le bureau de Ben Gvir, ancien membre de Kach. Mais le leader a évolué et est assez intelligent pour éviter de publier des propos qui pourraient être considérés comme une incitation au crime.
Il insiste pour affirmer qu’Otzma ne prône plus la politique raciste et ségrégationniste de Kach mais il persiste à s’identifier à son idéologie en se présentant comme un groupe politique ultra-nationaliste et suprémaciste juif : «Je pense que le rabbin Kahane était un homme saint, un homme juste, qui s’est battu pour le peuple juif. Mais après tout ça, non, je ne suis pas le rabbin Kahane mot pour mot… Je ne suis pas d’accord pour généraliser sur les Arabes».
Ben Gvir plaide pour l’annexion de toute la Cisjordanie, mais sans accorder aux Palestiniens la citoyenneté israélienne. Il cherche à expulser les citoyens israéliens arabes «déloyaux» et encourage les Arabes en général à émigrer afin de rendre Israël plus homogènement juif. Cette identification raciste créé un problème aux États-Unis où l’administration Biden a déjà annoncé qu’elle ne travaillerait pas avec «le politicien suprémaciste juif Itamar Ben-Gvir». Aucune décision officielle n’a encore été prise, mais si l’administration Biden boycotte Ben-Gvir, il y aurait des conséquences négatives pour les relations américano-israéliennes.
Son partenaire politique, Bezalel Smotrich, a déclaré qu’il voulait être ministre de la Défense, un rôle qui supervise également la politique israélienne en Cisjordanie et à Gaza et il approuve les nouvelles constructions d’implantations. Lui aussi a l’habitude de faire des remarques racistes sur les citoyens arabes d’Israël.
Netanyahou n’aurait pas d’autre choix que de s’appuyer sur ces deux politiciens pour éventuellement faire passer des lois afin d’arrêter son procès pour corruption. Le secrétaire d’État américain Tony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan ont déjà annoncé au président Herzog qu’ils n’envisageaient pas de travailler avec Ben-Gvir et d’autres extrémistes de droite en raison de la «rhétorique et des positions racistes de Ben-Gvir et de son parti contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et contre la minorité arabe en Israël».
La montée de l’idéologie nationaliste de droite n’est pas nouvelle. Elle s’est révélée sous Menahem Begin qui donnait la primauté à sa nation sur une autre et qui limitait les droits des Arabes en Cisjordanie par rapport aux droits des Juifs. Cela a servi de base à la pensée de Kahane.
Avec la guerre du Liban de 1982, s’est développée une atmosphère dans laquelle la voix de Kahane ne sonnait plus si éloignée du contexte de la politique israélienne. Begin avait qualifié les Palestiniens au Liban «d’animaux à deux pattes» tandis que le général Rafael Eitan, chef d’État-major, les a appelés «des cafards dans une bouteille», un langage proche de la dialectique de Kahane.
Mais la popularité du rabbin Kahane n’a cessé d’augmenter parmi les jeunes. L’héroïsme, le romantisme, la croyance aux armes à feu et au militarisme, pas les kibboutzim, tout cela est venu avec Begin et a préparé la voie à Kahane favorisée par l’augmentation marquée de la violence entre Juifs et Arabes à l’intérieur d’Israël, après l’écrasement de l’OLP au Liban.
Le rabbin Kahane avait dit qu’il ne faisait qu’articuler ce qui était dans la tête de nombreux Israéliens. : «Mon message est clair. Je ne dis pas que nous devons faire quelque chose au sujet des Arabes. Je dis que nous avons un problème et voici ma réponse : jetez-les dehors. Vous pouvez penser que c’est une chose terrible, mais au moins c’est une réponse claire. Je dis que nous ne sommes pas sortis de l’exil pour faire peur à nos soldats, à nos femmes, à nos enfants. On a laissé ça dans le ghetto».
Ben Gvir a été poussé au premier plan car il existe un vide de leadership à gauche et au centre en Israël. Par ailleurs, il pense que Netanyahou a fait son temps. Il a donc un boulevard devant lui. Mais en fait, il représente une menace politique bien plus importante pour les partis de droite que pour les autres partis. Beaucoup de dirigeants hésitent à le condamner parce qu’ils ont le sentiment qu’il dit des choses auxquelles ils croient mais qu’ils ne veulent pas dire à haute voix. Par ailleurs, il sert de contrepoids à la laïcité et il fait partie de ceux qui n’hésitent pas à s’exprimer dans les quartiers pauvres.
Une partie du programme de Ben Gvir au gouvernement est déjà prête. Il veut atteindre trois objectifs qui risquent de mener à des divergences intérieures et surtout à un conflit avec la communauté juive américaine :
1. Réprimer le crime arabe, le terrorisme et expulser Ayman Odeh, citoyen israélien et leader de la liste arabe
2. Renforcer les opinions conservatrices sur la religion et l’État et réprimer les Juifs réformés dont la majorité vit aux États-Unis
3. Sévir contre les citoyens internationaux illégaux vivant en Israël alors que la plupart sont devenus indispensables à la bonne marche d’entreprises israéliennes
Les Israéliens ont choisi démocratiquement leurs députés. C’est un fait indéniable, ni pressions et ni magouilles. Mais l’avenir est sombre car les extrémistes qui arrivent au pouvoir risquent de tuer la démocratie une fois leur objectif atteint, afin de s’y maintenir.
Il faudra juger sur pièces les réalisations du nouveau gouvernement qui fera face à de multiples défis : l’Iran, la crise du logement, l’augmentation du coût de la vie et la sauvegarde des entreprises du high-tech. Pas de procès d’intention mais la réalité des réalisations.
Article initialement publié dans Temps et Contretemps.