Beauté de Rebecca
Entre 1760 et 2010 selon le calendrier hébraïque, Abraham s’inquiéta de trouver une épouse pour son fils Isaac. « Le serviteur le plus ancien de la maison », (ce qui ne nous renseigne pas sur son âge) Eliezer fût chargé d’aller la chercher.
Les mots du Patriarche furent sans appel : « Mets, je te prie, ta main sous ma hanche ; et je t’adjurerai par l’Eternel, Dieu du ciel et de la terre, afin que tu ne choisisses pas une épouse à mon fils parmi les filles des Cananéens au milieu duquel je demeure, mais tu iras dans mon pays et dans mon lieu natal et tu prendras une épouse pour mon fils Isaac. » Commentaire de Rachi : « Sous ma Hanche ». Celui qui prête serment doit tenir la main sur un objet par lequel s’accomplit une Mitsva. ».
Ainsi, une caravane de dix chameaux chargés de présents s’élança depuis le pays de Canaan vers Aram Naharayim (en Mésopotamie), du côté de la ville de Nacor. Cette ambassade fera date. L’ancien Président-Directeur du Louvres, Pierre Rosenberg le dit explicitement : « Le tableau compte sans conteste parmi les plus belles réussites de Poussin : chaque figure, chaque groupe, est un chef d’oeuvre parfait ».
Elles marchent pieds nus, ce sont des servantes. On dirait aujourd’hui des ouvrières, des femmes de ménages, des femmes de chambres, des femmes au foyer, des boniches, des caissières. Aux yeux de Poussin, elles sont toutes des déesses, cela me plaît.
Dans l’esprit des titres des œuvres pour clavecin de François Couperin, elles pourraient s’appeler, de la gauche vers la droite : « La besogneuse » (deux vases à porter), à l’arrière-plan en sourdine « Les indifférentes » où « Les copines qui papotent », puis « L’attentive », « Les sœurs », « La vigilante », « L’éblouie », la « Je-demande-à-voir » (Rebecca), « La jalouse », « L’attendrie », « La résignée » Encore une, « L’écouteuse », au centre du tableau.
Qu’entend-elle en tirant sa corde du puits ? « C’est pour vous de la part d’Abraham au sujet de son fils Isaac. Je vous avertis tout de suite, si vous acceptez, vous dormirez sous une tente entourée de chèvres et de moutons. Aucun lapin à signaler, rassurez-vous ». « C’est pour moi, vraiment ? ». « Oui, c’est pour vous et vous seule ». Voilà la mère de Jacob. Ecce Femina.
La rencontre entre Isaac et Rebecca est un de mes passages préférés de la Bible, avec les retrouvailles de Joseph et de sa famille : « En levant les yeux, il vit que des chameaux s’avançaient. Rebecca, levant les yeux, aperçut Isaac, et se jeta à bas du chameau ; et elle dit au serviteur « Quel est cet homme, qui marche dans la campagne à notre rencontre ? » Le serviteur répondit : « C’est mon maître. » Elle prit son voile et s’en couvrit. Le serviteur raconta à Isaac tout ce qu’il avait fait. Isaac la conduisit dans la tente de Sara sa mère ; il prit Rebecca pour femme et il l’aima, et Isaac se consola après sa mère. » C’est sublime.
Eliezer et Rebecca de Nicolas Poussin est un chef d’œuvre sur le thème de l’élection. « Pourquoi elle ? Pourquoi moi ? Pourquoi ce Peuple ? ». Rebecca est élue pour l’éternité, à la grande stupéfaction des copines. Le catholique que je suis crois profondément que les Juifs sont le Peuple élu pour l’éternité. La grande peinture catholique comme celle de Nicolas Poussin est aux antipodes des caricatures antisémites d’hier, d’aujourd’hui et malheureusement de demain. Il y a chez ces artistes, je le pense, un sentiment profond de la poésie du Peuple Juif à travers les siècles, doublé d’une volonté, non pas de l’idéaliser, mais d’en exprimer la beauté réelle depuis la Bible.