Bachar al-Assad est-il encore l’homme de la situation ?

Photo d'archive publiée par l'agence de presse officielle syrienne SANA, le président syrien Bashar Assad à Damas. (Crédit : SANA via AP)
Photo d'archive publiée par l'agence de presse officielle syrienne SANA, le président syrien Bashar Assad à Damas. (Crédit : SANA via AP)

Le terrain syrien, avec ses multiples acteurs, reste une région d’une grande instabilité et d’un enchevêtrement de stratégies géopolitiques. Dans cette dynamique, sa géographie est au cœur des luttes. Le problème réside dans le fait que le régime syrien, sous Assad, a aligné ses politiques actuelles sur celles de la Russie et de l’Iran ; il est constamment appelé à céder à certaines exigences de ses voisins, notamment en affaiblissant les liens logistiques de l’axe de la résistance dont il est, ou plutôt était, la pierre angulaire.

La république arabe syrienne et ses alliés ont failli dans leur projet post-victoire de 2018.

L’Iran, malgré son soutien militaire et économique à la Syrie, se retrouve désormais dans une position où il doit également gérer ses propres défis internes et ses engagements dans d’autres théâtres, notamment en son propre sol et au Liban, ce qui réduit sa capacité à soutenir la Syrie de manière aussi décisive qu’en 2012.

La Syrie, donc, doit jongler entre maintenir une alliance avec l’Iran tout en cherchant à renforcer sa position face aux pressions de son voisinage. Le régime islamique d’Iran, tout en continuant à soutenir Assad sur le plan sécuritaire interne, semble ne pas pouvoir se renforcer davantage en Syrie.

Aucun pays de la région ne souhaite le voir occuper un rôle décisif sur le sol syrien. Si l’Iran préfère voir Bachar al-Assad revenir à sa force d’avant 2011, il est incapable de solidifier son pouvoir, faute de moyens à sa disposition. Un président fort, même gouvernant un pays détruit et en faillite, pourrait résister jusqu’à un certain point, aux diktats russes et aux menaces arabo-turques. Ainsi, l’Iran s’assurerait de garder une position de négociation face à Israël et face à toute fluctuation de la situation au Liban.

La Russie semble également jouer un double jeu où ses intérêts priment, et de loin, sur ceux de la Syrie et des Syriens. Bien que la Russie soit un allié clé de la Syrie, elle cherchait, depuis les accords d’Astana, à imposer une normalisation des relations entre la Turquie et la Syrie pour alléger le poids de ce conflit sur ses finances et son armée. La guerre en Ukraine a essoufflé la capacité russe en terre syrienne. Pire, elle a dénudé certains mythes de sa puissance.

Moscou a vu dans un rapprochement entre Ankara et Damas un moyen de stabiliser le pays, mais cet objectif entre en contradiction avec les intérêts syriens et surtout avec le narratif anti-Erdoğan du président Bachar al-Assad. Ce dernier, toujours méfiant, n’est pas pressé de reprendre des relations apaisées avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan. La Russie, tout en continuant à soutenir – à minima – la Syrie sur le plan militaire, ne semble pas vouloir la renforcer davantage régionalement. Elle préfère éviter de voir Bachar al-Assad revenir à sa force d’avant 2011. Un président affaibli, gouvernant un pays détruit et en faillite, sera constamment à sa solde.

Enfin, les pays arabes continuent de jouer un rôle complexe vis-à-vis de la Syrie. La majorité des pays arabes essaie, du mieux possible, de normaliser leurs relations avec le régime d’Assad, tandis que le Maroc et le Qatar restent encore réticents, en raison des implications politiques ou idéologiques. La réintégration progressive de la Syrie ne peut être vue que sous l’angle d’un pragmatisme croissant, puisque les relations restent conditionnées par la reprise complète de la souveraineté syrienne et une indépendance vis-à-vis du régime islamique d’Iran.

Le président syrien se trouve donc dans une position délicate, où il doit naviguer entre une situation catastrophique interne et des attentes extérieures croissantes. La quête de Bachar al-Assad pour la stabilité et la légitimité interne et internationale continue d’être son grand combat. Force est de constater qu’il échoue jusqu’à présent à prendre une position ferme dans ce sens. Toute décision ferme lui serait fatale.

Bachar al-Assad ne pourrait se sortir de ce gouffre qu’en stabilisant le front interne et en menant une réelle réconciliation avec ses opposants. Un processus long et ardu, nécessitant à la fois un appui de ses alliés arabes et de la Russie. Mais que pourrait-il offrir comme garantie à la Russie ? La réponse, malheureusement, pourrait constituer un oxymore.

Cet oxymore reflète la contradiction de la situation. Bien que le régime d’Assad ait retrouvé le contrôle de la majorité du territoire, ce contrôle, éphémère dans certaines régions, reste tributaire des puissances comme la Russie et l’Iran, et de la volonté de certains États de maintenir le statu quo. La stabilité apparente est donc entachée par l’influence extérieure qui reste présente.

Après la reprise de la Ghouta orientale et le transfert des milices islamistes à Idleb, la présidence syrienne a souvent mis en avant la nécessité de reconstruire le pays, de restaurer les infrastructures et de réhabiliter les territoires dévastés par les combats. Cependant, en réalité, le discours autour de la reconstruction a été largement un outil de communication plutôt qu’un réel projet de société.

L’accès aux ressources et aux contrats de reconstruction a souvent été monopolisé par des entreprises proches du pouvoir ou par ses alliés de la guerre. Quant aux projets lancés sous le parapluie de la « reconstruction », ils avaient un objectif précis : celui de consolider le pouvoir et de récompenser les seigneurs de guerre.

Vu sous cet angle, Bachar al-Assad peut être qualifié de tartuffe à cause de son comportement politique et de ses actes contradictoires par rapport à son discours. Le président syrien se présente encore comme un leader cherchant à restaurer la stabilité et à reconstruire la Syrie après ses années de guerre.

En réalité, son régime a été incapable de présenter un projet de l’après-guerre. Ainsi, sous l’apparence d’un homme cherchant à véhiculer le narratif de la victoire sur les islamistes et les obscurantistes, il a été incapable d’offrir une bouffée d’oxygène à son économie ou de présenter un projet politique rassembleur, ce qui crée une grande contradiction entre ses paroles et ses actes.

Si ses soutiens extérieurs lui ont permis de résister militairement et aux pressions diplomatiques internationales, lui offrant la possibilité de se maintenir au pouvoir, cela l’empêche aussi d’exercer son pouvoir présidentiel en toute indépendance.

La relation entre Assad et la Russie est si stratégique que se dissocier de Moscou semble être une option impossible. Toute tentative de s’en éloigner équivaudrait à sa mise à mort.

Si la dissociation de la Syrie vis-à-vis de la Russie (en premier lieu) et de l’Iran (en second lieu) semble impossible à court terme, elle pourrait l’être à moyen et long terme, si les conditions géopolitiques changent (réconciliation avec l’Occident, diversification des soutiens, réformes internes, etc…).

Opérer un virage stratégique majeur dans les relations internationales et régionales, en particulier pour mener un rapprochement avec l’Occident, mènerait à une rupture brutale avec la Russie. Certains penseurs syriens et arabes tentent de pousser la Syrie vers la voie de Sadat post-73.

L’idée qu’un président syrien puisse s’inspirer d’Anwar Sadat, l’ex-président égyptien, pour se dissocier progressivement de la Russie et suivre une voie plus indépendante est intéressante à explorer.

Le régime syrien est cependant beaucoup plus dépendant de la Russie que Sadat ne l’était de l’URSS, sans compter que l’armée égyptienne était plus forte que l’armée syrienne et ses supplétifs ne le sont aujourd’hui.

Contrairement à Sadat, Assad n’a presque aucune marge de manœuvre géopolitique, ni une base populaire intérieure pour mener un tel virage. Il faudra donc qu’un autre président mène cette bataille. Mais, si ce dernier déciderait de la mener, il pourrait, sous certaines conditions, s’inspirer de la manière dont Anwar Sadat a réajusté ses alliances pour adopter une politique de réconciliation interne et internationale. À commencer par une réconciliation interne, celle-ci devrait être authentique et inclusive de toutes les composantes de la société syrienne, ce qui impliquerait une métamorphose de la politique sécuritaire du régime.

En parallèle, un alignement des politiques syriennes avec les pays arabes, comme l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, permettra à la Syrie d’avoir un fort soutien politique et financier.

Pour s’éloigner, à petit feu, de la Russie, tout président syrien devra chercher à diversifier ses partenariats économiques en attirant des investissements de tout bord, ouvrant ainsi son économie et modifiant ses lois restrictives. Quant au volet géostratégique, il devra réduire sa dépendance militaire envers la Russie en renforçant ses relations avec ses voisins comme la Jordanie, la Turquie et en abaissant son animosité envers l’État d’Israël.

Israël ne pourrait aider la Syrie que secrètement et de manière limitée. Cependant, si la présidentielle syrienne déciderait de s’engager dans un processus de paix crédible et sérieux, les alliés de l’État d’Israël pourraient utiliser leur position pour favoriser un équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient, incitant la Russie à accepter une plus grande autonomie pour le régime syrien, sans toucher à ses intérêts en Méditerranée.

Si un soutien israélien à la présidence syrienne semble difficile à envisager dans un cadre ouvert, il pourrait l’être en cas de changement à la tête de la pyramide du pouvoir syrien et d’un rebrassage des cartes à l’interne. Tout cela dépendrait aussi de l’évolution de la situation régionale et internationale. Chose certaine, Israël gagnerait à avoir une Syrie stable institutionnellement, loin de tout contrôle des milices.

Bachar al-Assad est-il encore l’homme de la situation?

La question essentielle est moins de savoir s’il est « l’homme de la situation » et davantage de mesurer le coût humain, économique et politique de son maintien au pouvoir. La possibilité d’un véritable redressement pour la Syrie ne devrait point inquiéter le voisinage syrien, bien au contraire. Le coût humain de la situation actuelle dépasse largement le jeu politique interne syrien. Si le régime ou les milices rebelles contrôlent le territoire syrien, il est clair que ce contrôle sera maintenu à un prix qui hypothèque l’avenir de la région entière.

à propos de l'auteur
Blogueur, M.sc politique appliquée, propagande et communication politique, ÉPA PhDing, Diplomatie religieuse et culturelle
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