Attentisme à l’israélienne ou « Yihyeh Besseder »
La guerre Israël-Hamas confirme la tactique politique adoptée de longue date par le Premier ministre israélien : remettre à plus tard des décisions qu’on pourrait prendre aujourd’hui, en espérant que les choses finiront par s’arranger d’elles-mêmes ou en comptant trouver une solution à la dernière minute.
Durant les seize années passées à la tête du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahou a mis au point une stratégie bien rodée ; il est devenu maître dans l’art de ne pas décider. Il attend des jours meilleurs tout en laissant planer le flou sur ses intentions réelles. A tel point que les expressions « Après les vacances » et « Après les fêtes » sont devenues courantes dans le langage quotidien de l’Israélien.
Yihyeh Besseder
Parmi les grands dossiers politiques, économiques et diplomatiques, qui sont en attente depuis que Netanyahou est à la tête du pays, figurent : le statut des territoires palestiniens occupés, la place de la religion dans l’Etat, le service militaire des harédim…
Sur tous ces dossiers, Netanyahou a toujours évité de prendre des décisions claires, notamment pour ne pas contrarier ses partenaires de la coalition gouvernementale mais aussi pour se perpétuer au pouvoir le plus longtemps possible.
A son retour pour la sixième fois à la tête du gouvernement israélien le 29 décembre 2022, Netanyahou a confirmé sa tactique du yihyeh besseder ou « ça ira » : des dossiers brûlants ont été remis à plus tard, dans l’espoir sans doute que les choses s’arrangeront toutes seules.
Trop occupé par la réforme du système judiciaire, l’actuel gouvernement Netanyahou a sciemment ignoré les préoccupations majeures des Israéliens : le coût de la vie, la crise du logement, la criminalité dans le secteur arabe, la conscription des orthodoxes, etc. Beaucoup de ces dossiers ont été remis à « après les fêtes »…
Ahraiyout
Depuis le déclenchement de la guerre contre le Hamas, l’attentisme du Premier ministre s’est renforcé : il n’a toujours pas concédé explicitement sa responsabilité (Ahraiyout en hébreu) dans les défaillances mises en lumière lors de l’attaque perpétrée par le Hamas contre ses concitoyens.
Benyamin Netanyahou a attendu le 22e jour de la guerre pour rencontrer les représentants des familles des otages retenus à Gaza ; il a aussi attendu 22 jours pour réunir une conférence de presse et répondre aux questions des journalistes, mais souvent par la vague formule « nous verrons plus tard, après la guerre ».
Pendant des années, l’atermoiement de Netanyahou a fonctionné. Parfois, les choses finissaient vraiment par s’arranger, notamment quand une question plus urgente émergeait ; par exemple, la normalisation avec l’Arabie saoudite était devenue une priorité qui méritait de laisser traîner d’autres dossiers. De même, la guerre a reporté à une date inconnue le remplacement du gouverneur de la Banque centrale d’Israël qui termine son mandat en décembre prochain…
L’attentisme du Premier ministre a fini par déteindre sur les membres de son gouvernement. C’est ainsi que depuis dix mois, le ministre de la Justice repousse la convocation de la commission de nomination des juges, laissant vacants près de 50 postes dans les tribunaux du pays. Il y a quelques jours seulement, et sous la menace d’intervention de la Cour suprême, il a demandé à 14 juges à la retraite de reprendre provisoirement du service.
Sur les questions économiques aussi, la lenteur des décisions gouvernementales depuis le 7 octobre est stupéfiante : le ministre des Finances a pris son temps pour publier un plan de reconstruction et d’indemnisation, évitant de mettre la main à la poche et espérant peut-être que les choses s’arrangeront avec le temps.
D’ailleurs, ce n’est pas par hasard si Netanyahou a (presque) toujours pris soin de ne pas nommer un membre du Likoud au poste de ministre des Finances, préférant un représentant d’un autre parti de la coalition, comme Bezalel Smotrich du Sionisme Religieux (depuis 2022), Moshé Kahlon de Koulanou (2015-2020), Yaïr Lapid de Yesh Atid (2014-2015), etc. ; histoire de se décharger de son Ahraiyout en cas d’échec…
Procrastination
La tendance à remettre à plus tard ce qu’on pourrait faire maintenant, et à demain ce qu’on pourrait faire aujourd’hui, porte désormais un nom en français : la procrastination.
Depuis le 7 octobre dernier, la procrastination du gouvernement Netanyahou coûte cher au pays en temps de guerre. En reportant à plus tard des décisions économiques importantes, le pays reste sans budget d’urgence, sans mécanisme d’aides publiques adaptées à la situation de guerre, etc.
Le ministre des Finances Smotrich a attendu 27 jours avant de proposer un plan cohérent pour indemniser les familles déplacées, les entreprises fermées et les salariés mis de force en chômage technique. Si le gouvernement a enfin décidé d’ouvrir le robinet des aides financières, le financement reste obscur : le budget 2024 n’a toujours pas été refondu pour prendre en compte les contraintes d’une économie de guerre. Quant au cabinet socio-économique mis en place par le Premier ministre pour lancer la reconstruction du pays, il ne s’est réuni que 3 fois depuis le début du conflit et n’a pris aucune décision majeure.
Cet attentisme à l’israélienne ébranle la confiance des citoyens, ménages et entreprises, dans les institutions de l’Etat. Sans compter de nombreuses décisions qui avaient été reportées après les fêtes juives de la rentrée, comme la poursuite de la réforme judiciaire et l’enrôlement des haredim ; le Hamas de Gaza en a décidé autrement…