Assouline, Marocain ?!
Paris, le 20 Juillet 2016
J’ai été au bureau de l’emploi,
Il m’a demandé d’où je venais,
J’ai dit de Pologne,
Il m’a dit entre,
J’ai été au bureau de l’emploi,
Il m’a demandé d’où je venais,
J’ai dit du Maroc,
Il m’a dit sors d’ici.
Lishkat Avoda [1], Jo Amar
Yuval Aviv publiait il y a quelques mois un article pour le site Al Monitor [2] sur les ‘’Mizrahim [3]’’, sujet de société toujours brûlant en Israël. Les conclusions de la Commission Bitton en Juillet 2016 d’intégrer au programme scolaire l’histoire des « laisser-pour-compte’’ du sionisme est le début d’un processus long et nécessaire.
Le jour de ma démobilisation de l’armée israélienne, le soldat à qui je remis ma carte d’identité militaire s’exclama avec amusement, dans un fort accent oriental : « Assouline, Maroucain ?!’’ Surpris, il répondît à mon étonnement : « tout le monde sait’’. Il avait immigré de Russie quelques années avant moi. Je pris soudainement conscience du sens de cette interpellation d’apparence comique et dérisoire : j’étais baptisé.
Derrière mes lunettes de dandy français des années 30, je ne suis « qu’un marocain ». Une identité ancrée dans mon état civil, que le melting-pot israélien me fait redécouvrir. En sorte, on est conduit à se réapproprier cet orient gommé par l’intégration des parents, car pour les Israéliens, nous n’étions que « de passage’’ en France. Tant bien que mal, tout en apprenant à devenir Israélien, on essaye de jouer le moyen-oriental que l’on n’est pas, on tente alors de prendre le chemin inverse pris par nos parents. Epris d’une liberté apparemment retrouvée, on se remet à manger au sol, comme sur les photos voilées par le temps, dans la maison de Casablanca, Um Kaltum est écoutée comme si nous étions au Coq d’or [4].
Ce retour aux sources pour les nouveaux immigrants d’Afrique du Nord et la conservation de leur identité n’étaient pas possibles dans les années 1960 en Israël. Il n’en restera que des photos ambrées, un accent, un langage corporel, des rituels comme la mimouna [5] réduit à une célébration familiale. Pourtant, le cinéma israélien s’intéresse à cette communauté, à travers les films d’Éphraïm Kishon, mais les acteurs principaux, tels que Shaike Ofir et Haïm Topol, interprétant les héros de ces comédies dramatiques [6], sont loin d’être nés dans le mellah [7].
Pour la majorité des Israéliens de l’époque, les Juifs sépharades sont des citoyens de seconde zone. Ils sont différents par leur mœurs et coutumes, et ils n’auraient pas souffert durant la seconde guerre mondiale. Par conséquent, ils ne peuvent accéder à l’égalité dans le jeune Etat.
Les écrits d’Albert Memmi [8] puis tardivement le travail des historiens montrent que la Shoah était aussi en préparation en Afrique du Nord. Pour rappel, le statut Juif d’octobre 1940 fut également appliqué aux colonies françaises et si les forces alliées n’avaient pas débarquées sur les côtes du Maghreb,[9] les Juifs auraient connus le même sort que ceux de l’Europe continentale. La semaine dernière, le monologue du présentateur Gidi Orsher, à ce sujet, lors l’émission satyrique « Gav Haouma’’ diffusée sur Aroutz 10, démontre par son arrogance le niveau d’ignorance d’une certaine élite encore aujourd’hui.
Le mot « oriental’’, qui en hébreu se dit « mizrahi » (autrement dit, « sépharade’’) résonne négativement. Il s’agit pour beaucoup d’une communauté trop attachée à son folklore qui est religieuse et représentée par un parti politique intransigeant. Certains se rappelleront des « Panthères Noirs’’, jeunes israéliens d’origines marocaines dans les années 70 qui s’étaient révoltés contre l’establishment. L’histoire des Juifs sépharades, de ses héros [10] et de ses personnages célèbres reste méconnue. La musique orientale se limite à Eyal Golan, aux grands ténors arabes que l’on encense tel que Farid El Atrach ou Ferouze [11], en oubliant les célèbres chanteurs comme Salim Halali et Sheikh Raymond qui ont fait rêver nos parents et grands-parents. Dans un pays qui ne vit que de l’instant, on oublie l’histoire des hommes…il est temps de corriger les erreurs passées.
La nouvelle réforme de l’éducation nationale et les conclusions de la commission Bitton répondent à une nécessité sociale et historique même si elle est maladroite dans sa forme, en voulant créer une équivalence des histoires et cultures ashkénazes et sépharades.
Après la polémique autour des propos du chanteur Yoram Gaon sur la qualité de la musique « mizrahit’’ et par l’omission de personnalités du monde orientales sur les derniers billets de banque, il serait souhaitable d’obtenir des autorités des initiatives simples à appliquer comme la nomination des innombrables rues sans nom de la municipalité de Tel Aviv-Jaffa. Ce geste symbolique pourrait enfin donner « Yad veShem’’ [12] à tous ces héros juifs du Maghreb tombés dans l’oubli collectif. Après tout, la Tayelet [13] ressemble plus à la promenade d’Ain Dieb de Casablanca que la rue principale du shteitl d’Anatekva [14].
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[1] Bureau de l’emploi, chanson de Jo Amar, chanteur Israélien d’origine Marocaine dans les années 1970-1980
[2] Why is Middle Eastern Culture Missing from Israeli School Book ? Yuval Aviv, Jan. 8th, 2016
[3] Nom donné en Israël aux populations d’origines sépharades
[4] Le Coq d’Or, célèbre cabaret de Casablanca, du temps du Protectorat Français, où se produisait régulièrement le chanteur Salim Halali
[5] Célébration marquant la fin de Pessah pour les communautés sépharades.
[6] Sallah Shabati, 1964 Le Policier Azoulay, 1970 d’Éphraïm Kishon
[7] Ghetto juif des villes arabes, si bien décrite par Pierre Loti dans ‘’Au Maroc’’, 1890
[8] Albert Memmi, La Statue de sel, ed. Correa, Paris, 1953
[9] Opération Torch, Débarquement alliés en Afrique du Nord, le 8-10 Novembre 1942
[10] Occupation d’Alger par les résistants du groupe du Dr. José Aboulker dans la nuit du 7 au 8 Novembre 1942.
[11] Respectivement chanteur Egyptien et chanteuse Libanaise des années 1960-1970
[12] Un monument et un nom, Isaiah 56 :5
[13] Promenade du bord de mer de Tel Aviv
[14] Shteitl Imaginaire du film ‘’Un Violoniste sur le toît’’, Norman Jewison, 1971