Après leurs retours

Hier, alors que j’étais très en avance comme par ma (mauvaise) habitude à 6h30 à Tel-Aviv, pour un rendez-vous; alors que rien n’est ouvert, impossible de boire un café dans le coin, mes pensées vagabondaient pendant que la ville s’éveillait très doucement.

Sur Sderot Tzion, l’allée d’arbres est ornée, comme dans beaucoup d’endroits en Israël, des affiches des visages avec le nom des otages. Les parterres de pensées jaunes en haut sur Rothschild admirés au passage par les vitres du bus pour rappeler leurs absences.

Depuis plus d’un mois, les murs, les vitrines, les arbres sont devenus les portes-paroles des otages afin de ne pas les oublier et elles crient en substance « Bring them back home now ».

Les drapeaux flottant au vent annonçaient enfin le changement de saison, nous sommes en novembre, pourtant la veille j’étais à la plage. Les questions et les interrogations sont venues, avec le ciel grisonnant, se bousculer.

Partout ces affiches sont omniprésentes venant remplacer ceux qui nous manquent – même si nous ne les connaissons pas. Des milliers d’affiches sont agrafées sur les arbres, comme elles ne voulaient pas être ôtées, mais que fera-t-on à leur retour ?

Est-ce que les otages libérés viendront-ils – tels des rocks star signer leurs portraits ?

Comme un pied de nez au destin, viendront-elles orner leurs salons, où ils chanteront et danseront avec leurs amis ? Et dire : voyez, je suis vivant ! Je suis là !

Ou alors arracheront ils (par eux-mêmes) leurs portraits le regard triomphant, les déchiquetant en mille morceaux ?

A leur retour ferons-nous la fête ? Est-ce que nous descendrons danser dans des concerts improvisés ? Attendrons-nous la fin des hostilités pour enfin nous réjouir ?

Est-ce que nous couperons les rubans jaunes ? J’imagine ces tas de rubans jaunes des uns emportés par le vent et les autres chargeant le travail des éboueurs ramassant avec peine tous ces rubans jaunes, débordant des poubelles de jaune.

Est-ce que nous arracherons les affiches dans un brouhaha joyeux, riant et pleurant de bonheur les éparpillant comment des confettis à Pourim ?

J’évite de penser aux affiches de ceux qui n’auraient pas pu revenir (rasve shalom). Est-ce que nous devrions les ôter ? Comment alors enlever les affiches afin de ne pas abîmer les visages, et les garder bien précieusement, comme un souvenir de l’indicible hommage.

Ou est-ce que les affiches seront abimées par le vent et la pluie ? Ne faudrait-il pas les protéger avec des pochettes plastiques ? Que faire de tous ces visages ?

Et finiront-elles par être effacées par le temps ? Je les imagine toutes déchirées par la pluie et le vent, certains visages vieillis …

La ville s’éveille, le car arrive, les pensées s’envolent. Les infos nous disent que – SDV – 50 otages devraient être enfin délivrés. Nous attendons impatiemment pétris dans l’attente, accrochés à nos affiches, à l’espoir d’une fin prochaine et heureuse.

à propos de l'auteur
Nouvelle immigrante revenue de Suisse. Patricia est ingénieure, professeure de Sciences et artiste.
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