Après le décès du Pape François

Richard Prasquier. (Crédit : Keren Hayesod)
Richard Prasquier. (Crédit : Keren Hayesod)

Chronique Radio J. 24 avril 2025.

Pour les Chrétiens, le dimanche de Pâques est le jour de la résurrection du Christ, autrement dit l’anniversaire de l’événement fondateur du christianisme. C’est le jour le plus important du calendrier, où Noël n’est arrivé que quelques siècles plus tard. Le Pape François, épuisé depuis sa sortie de l’hôpital où il a écrit la bénédiction Urbi et Orbi, n’a pas pu la prononcer lui-même, mais est allé à la rencontre de la foule. Le lendemain matin, il était mort. J’ai pensé à une étude américaine sur le décès des personnes âgées juives autour de la Pâque. Les jours qui précédaient la fête, les décès étaient plus rares que les jours qui la suivaient, comme si des malades qui tenaient à vivre cet événement en famille lâchaient prise après…

François avait fait jusqu’au bout son travail de Pape, en accord avec des principes d’une exigence extrême. Ce n’était pas pour rien que le Jésuite Bergoglio avait pris un prénom que nul Pape ne s’était avisé de choisir : celui de l’apôtre des pauvres, de l’amour universel envers les créatures, hommes ou bêtes, qui peuplent la nature divine, et accessoirement le précurseur du dialogue avec l’islam par sa rencontre avec le Sultan d’Égypte au cours de la cinquième croisade.

Le Pape François a suivi avec une extraordinaire détermination l’exemple de François d’Assise, qui lui-même s’alignait sur le Sermon sur la Montagne tiré de l’Évangile de Matthieu, éloge de la préférence envers les pauvres et les opprimés.

Ironie du destin, ce fut un Américain, catholique fervent depuis son récent baptême, aussi strict que lui sur l’avortement et sur la fin de vie, mais opposé quant au reste, qui fut un de ses derniers interlocuteurs : J.D. Vance, vice-président d’un Donald Trump que François avait vertement critiqué lors de son premier mandat.

Enfin dans l’homélie de cette journée historique, un détail insolite : l’inquiétude du Pape sur la montée de l’antisémitisme.

Lorsque le cardinal Bergoglio est devenu François, tous les indicateurs étaient au vert dans les communautés juives. J’ai eu l’occasion, après son élection, d’être reçu au sein d’une délégation juive d’Amérique du Sud, surtout des Argentins, et j’ai été frappé par la cordialité de leurs relations. Le discours du Pape était plein d’angoisse. Parlant des Chrétiens d’Orient, il nous prit à témoins : « Parce que vous êtes Juifs, vous, vous pouvez comprendre mieux que les autres que ce qui se passe là-bas, c’est un génocide ! ». J’ai trouvé le terme inapproprié au regard de ce que je savais, mais je n’ai pas pris la parole.

La suite l’a confirmé.

On dit que le Pape François a parlé d’un génocide possible à Gaza dans un livre d’entretien de novembre 2024. Mais il l’avait utilisé auparavant. En novembre 2023, des familles palestiniennes reçues au Vatican ont déclaré qu’il avait parlé de génocide. Si j’en crois mon expérience personnelle, le Pape François utilise ce mot de façon laxiste, en fonction de son ressenti moral, et non de critères juridiques. Si la Cour Internationale de Justice n’a pas statué, un observateur impartial sait qu’il n’y a pas à Gaza les critères d’un génocide dans lesquelles l’intentionnalité est fondamentale. Ce terme est une arme, extrêmement efficace, dans une guerre des mots menée contre Israël. Le Pape en a été malheureusement un transmetteur.

Depuis le 7 octobre 2023, très nombreuses ont été les références du Pape François au drame que vivent les Gazaouis. Tous les soirs, jusqu’à la veille de sa mort, il s’entretenait avec le curé de la minuscule communauté chrétienne de Gaza, le père Gabriel Romanelli, un Argentin comme lui. Beaucoup de personnes proches du Pape François témoignent aujourd’hui de la profondeur affective qu’il pouvait mettre dans ces relations humaines. C’est ce qui s’est passé avec Gaza, source personnelle d’émotions et de colère.

Il a reçu des familles d’otages israéliens, il a réclamé leur libération, mais il n’a pas créé avec eux les mêmes liens. De même, sans qu’il les ait négligés dans ses discours, je ne vois pas, en dehors évidemment des réfugiés qui ont été le fil conducteur de son pontificat, qu’il se soit mobilisé émotionnellement avec la même intensité pour d’autres lieux de la planète où des hommes et des femmes, chrétiens ou non, étaient persécutés : il a gardé des relations courtoises avec les dirigeants iraniens, sans fulminer contre les crimes contre l’humanité qu’ils produisent en cascade, et pourtant, il avait vu dans sa jeunesse les ayatollahs à l’œuvre dans les attentats contre l’Amia…

En ce qui concerne le patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe russe, notoirement un homme du KGB avec lequel il avait eu en 2016 une rencontre historique sur… l’aéroport de La Havane, les relations se sont dégradées, car le Pape a manifesté son soutien à l’Ukraine, même s’il n’a jamais, même à Boucha, désigné la responsabilité russe. Avec la Chine, il a signé un accord qui laisse au gouvernement le contrôle sur l’Église catholique chinoise. François n’ignorait pas entièrement les contraintes de la realpolitik.

C’est dans cet espace entre volonté de paix et exigences de la diplomatie qu’il faut analyser ses relations avec l’islam, indiscutablement un marqueur de son pontificat, comme les relations avec les Juifs l’avaient été au temps de Jean Paul II.

Le Pape François a systématiquement réagi aux attentats islamistes qui ont parsemé son pontificat par la compassion envers les victimes, la condamnation du terrorisme au nom de Dieu et l’appel à ne pas associer l’islam à la violence. Ces réactions traduisent la volonté – admirable – de ne pas essentialiser l’ennemi, mais la crainte de stigmatiser et la recherche d’équilibre ont parfois conduit loin dans l’occultation des responsabilités.

Sur la place Saint Pierre, dimanche 8 octobre 2023, le Pape François fait état de son appréhension et de sa tristesse ; il prie pour ceux qui ont vécu ou vivent encore des moments de terreur et d’angoisse. Il conclut que le terrorisme n’est pas une solution et que la guerre est toujours une défaite. Il ne prononce pas, et ne prononcera pratiquement jamais, le mot Hamas.

En novembre 2023, il a reçu des familles d’otages israéliennes, et dans la soirée des familles de prisonniers palestiniens en Israël. À l’issue de ces deux rencontres, dont le parallélisme avait choqué les amis d’Israël, il a déclaré :

Là, ce n’est plus la guerre, c’est du terrorisme.

Sans préciser s’il parlait des massacres du 7 octobre ou, comme la plupart l’ont compris, de la réaction israélienne.

À aucune de ses invocations du malheur des Gazaouis il ne faisait allusion aux terroristes du 7 octobre et à leur chantage sur les otages : un seul responsable apparaissait en filigrane : Israël. De cette époque date le désamour entre le Pape François et les Juifs.

De passage pour un enterrement, j’ai ressenti la profonde déception de la communauté juive romaine, celle qui avait été au premier rang des initiatives de Jean Paul II.

Toute sa vie cependant, le Pape François a témoigné que les acquis de Nostra Aetate étaient irréversibles, que l’antisémitisme était une tare dont l’Église s’était enfin débarrassée et qu’il n’était pas question de la réalimenter. Il n’y a pas à douter de cet engagement. Son rôle a été déterminant pour rendre accessible aux chercheurs l’ensemble des archives du pontificat de Pie XII, archives qui confirment ce que la plupart pressentaient et que certains cherchaient à édulcorer : que le Vatican était parfaitement au courant de l’extermination des Juifs. Mais tout se passe comme si cet engagement indiscutable l’avait rendu partiellement aveugle et sourd aux dérives de l’israélophobie et aux sous-entendus de l’islamisme. Il est significatif que sa dernière homélie se soit inquiétée de la montée de l’antisémitisme, mais n’ait pas remis en cause l’idéologie qui l’alimentait.

En mai 2014, le Pape François a effectué un voyage en Israël. Plus exactement, il a effectué un pèlerinage en Terre Sainte au cinquantième anniversaire de la rencontre entre Paul VI et le patriarche orthodoxe Athénagoras. À Bethléem, il posa ses mains sur le mur de séparation construit par les Israéliens dans le contexte de violences intenses au cours de la Seconde Intifada, un geste qui reflétait l’engagement du Pape François en faveur des opprimés mais qui suscita un malaise que ni sa visite à Yad Vashem, ni sa présence sur la tombe de Herzl ne parvinrent à dissiper.

La grande cause du pontificat du Pape François a été celle de la fraternité humaine dont témoigne l’encyclique Fratelli Tutti, publiée en 2020, le jour de la fête de François d’Assise. Peut-être parce qu’il considérait que le rétablissement des liens avec les Juifs était une histoire acquise – plus certainement parce que les liens avec les Musulmans, tellement plus nombreux que les Juifs, lui parurent la clef d’une coexistence harmonieuse – le Pape a cherché à établir avec l’islam des liens qu’aucun autre pontife n’avait développés de façon aussi spectaculaire et persévérante.

Ce montage de deux photos d’archives créé le 19 mai 2016 montre le Pape François (à gauche) le 23 mai 2013 à la basilique Saint-Pierre au Vatican, et le Grand imam d’al-Azhar, Sheikh Ahmed al-Tayeb au siège d’al-Azhar, plus haute autorité de l’islam sunnite dans le monde, au Caire, le 11 octobre 2015. (Crédit : AFP / Filippo Monteforte et Kenzo Tribouillard)

Son interlocuteur sunnite, Ahmed Al-Tayeb, grand imam de la mosquée Al-Azhar au Caire, a réagi à la mort du Pape François en l’appelant son frère en humanité. Ensemble ils ont signé à Abu Dhabi un Document sur la fraternité humaine dans lequel il est écrit :

La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer.

Aussi louable soit-elle, cette phrase est malheureusement une illusion. Aujourd’hui la foi sert souvent à tuer sans ressentir de remords.

Au demeurant, Ahmed Al-Tayeb, qui a défendu l’autonomie de Al Azhar contre les Frères musulmans, qui a approuvé la destitution de Mohamed Morsi en 2013 et qui se dit partisan d’un islam modéré non politique, voire un peu soufi, a accueilli avec enthousiasme les massacres du 7 octobre. Sa fraternité de croyant ne s’étend pas aux victimes de ce jour-là. Il a écrit sur le fait que l’expropriation des Palestiniens était le crime des crimes de l’humanité. Et il réserve sa compassion aux Gazaouis sans s’interroger sur la responsabilité du Hamas dans la guerre.

Il en est de même pour Mahmoud Abbas en Cisjordanie qui cherche un peu de légitimité interne dans un discours antisémite classique et qui réserve à usage externe ses déclarations pacifiques.

Comme d’autres qui ne partageaient pas ses objectifs religieux, le Pape François a fait des Palestiniens le paradigme des victimes. Cela est faux au regard de l’histoire qui révèle que le palestinisme a été grandement une fabrication idéologique destinée à servir les menées du nationalisme arabe, puis du soviétisme et enfin de l’islamisme.

Les objectifs du Pape François étaient différents, aussi spirituellement admirables qu’humainement irréalistes. Ils étaient ceux de la paix à tout prix et du souci prioritaire envers les déshérités.

Ce sont là des idées qui parcourent l’histoire du christianisme et qui ont été habituellement tenues à l’écart par les hiérarchies qui se sentaient plus confortables avec la notion de guerre juste, définie entre autres par Thomas d’Aquin.

Il est vrai que le Pape François lui-même a déclaré le 11 octobre 2023 qu’Israël avait le droit de se défendre, ce qui nous paraît la moindre des choses, mais ne l’était peut-être pas pour un pacifiste absolu. Il a cependant assorti ce droit d’exigences de proportionnalité et de précautions dont le respect strict aurait lié les mains des Israéliens.

Au cours de l’histoire, les Juifs ont beaucoup donné en tant que victimes innocentes. Ils en ont même tiré la doctrine du Kiddouch Hachem, d’acceptation du martyre sans résister et sans profaner le nom divin. Le sionisme a imposé une autre perspective, celle de la défense pour se maintenir en vie. Aujourd’hui, les Israéliens font face à ceux qui tiennent un troisième narratif, celui où les récompenses divines proviendront de la capacité à exterminer les ennemis, qualifiés d’ennemis de Dieu.

Les partisans de la paix ne doivent pas vivre dans le déni. Le bien n’est pas forcément contagieux et certaines guerres sont nécessaires. L’illusion pacifique a abouti avec le nazisme à la catastrophe que l’on sait et il en sera de même avec l’idéologie véhiculée par le Hamas et ses acolytes si rien n’est fait pour l’arrêter.

Dr Richard Prasquier
Président d’honneur du Keren Hayessod France

à propos de l'auteur
Depuis sa création en 1920, et à partir de 1948 en partenariat avec Israël, le Keren Hayessod, a joué le rôle principal dans la construction et le développement du pays, dans le sauvetage et l’intégration des Juifs nouveaux immigrants, ainsi que dans la lutte contre la fracture sociale. Seule organisation de collecte de fonds qui fonctionne en vertu d’une loi votée par la Knesset en janvier 1956, de nombreux projets ont été menés, tels que l’organisation de l'alyah de millions de olims et leur intégration, la mise en place de centaines de programmes sociaux, éducatifs et culturels innovants destinés aux populations défavorisées, mais aussi le renforcement de l’identité juive de milliers de jeunes en diaspora, à travers des programmes tels que Massa, Taglit ou Bac Bleu Blanc. Le Keren Hayessod existe dans 45 pays du monde et a œuvré en France sous le nom d'Appel Unifié Juif de France jusqu'en 2013. Depuis octobre 2013, le Keren Hayessod existe de façon autonome. Présidé par le Dr Richard Prasquier jusqu'en janvier 2020, il est aujourd'hui présidé par Judith Oks et Dan Serfaty.
Comments