Anatomie d’un édito
En l’espace de deux semaines, trois quotidiens belges francophones ont consacré leur éditorial au même sujet: l’occupation de campus universitaires par des étudiants et activistes pro-palestiniens. Une lecture comparée des trois textes permet de prendre le pouls des salles de rédaction respectives.
La Libre Belgique ouvre le bal le 27 avril avec un édito de Philippe Paquet titré « La peste antisémite sur les campus américains ». Extraits:
« Depuis le début de la riposte israélienne aux massacres du 7 octobre 2023, les universités américaines sont le théâtre de manifestations pro-palestiniennes souvent hystériques et violentes. Des étudiants et des enseignants juifs sont insultés, molestés et humiliés. Certains se voient interdire l’accès au campus, d’autres doivent se barricader dans les bâtiments. »
« Ce qui n’est pas acceptable […] c’est la dérive qui pousse les manifestants, sous couvert de défendre une cause et un peuple, à soutenir un groupe terroriste (le Hamas), à justifier ses crimes, et à sombrer dans un antisémitisme totalement assumé qui fait froid dans le dos et inspire le dégoût. »
« On est terrifié quand on entend des étudiants à l’université – l’élite intellectuelle d’un pays – menacer leurs camarades juifs en leur promettant ‘un nouveau 7 Octobre’ dont ils seront les victimes. »
Le 3 mai, l’éditorialiste en chef du Soir Béatrice Delvaux publie à son tour un édito titré « La saine rébellion des étudiants américains ». Extraits:
« Les images venues des campus américains sont impressionnantes, tant par la détermination de certains groupes qui occupent certains campus, que, depuis quelques jours, par la démonstration de force de policiers évacuant les manifestants manu militari. »
« Les occupations estudiantines sont tout aussi légitimes et profondes que celles, autrefois, contre la guerre du Vietnam et l’apartheid en Afrique du Sud. »
« La désinformation est reine dans le compte rendu de ces mouvements: […] l’antisémitisme n’y régnerait pas en maître, loin de là. »
Et le 9 mai, La Dernière Heure publie un édito de Fabrice Melchior dont le titre “La rébellion malsaine à l’ULB” fait écho à celui du Soir (ce texte est le seul des trois postérieur à l’occupation d’un bâtiment de l’ULB depuis le 7 mai et aux agressions antisémites survenues le même jour sur le campus bruxellois). Extraits:
« Il fallait s’y attendre. Après le navet américain, on a droit à son remake européen. Comme si les scènes chaotiques sur les campus US n’avaient pas suffi, le virus atteint notre chère ULB qui, sous couvert de libre expression, laisse des thèses violentes à l’encontre d’un pays, Israël, et des Juifs se propager. »
« Un bâtiment de l’ULB est donc maintenant occupé par des militants pro-palestiniens et baptisé du nom d’un terroriste reconnu, membre du FPLP. […] Et qui se permettent d’afficher des drapeaux palestiniens, mais aussi un autre, violent, avec une femme armée d’une mitraillette. »
« Cette rébellion malsaine, avec agression d’étudiants juifs, se passe sur le campus du Solbosch. À Bruxelles, donc, capitale de la Belgique et de l’Europe. Sur le campus de l’Université libre de Bruxelles… »
Quelles conclusions en tirer?
D’abord que La Libre Belgique et La Dernière Heure assument leur rôle d’ultime digue contre la barbarie lorsque les trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) sont inopérants voire complices, en posant un regard lucide et inquiet sur le tsunami antisémite qui déferle sur les campus.
Ensuite que Le Soir appréhende cette même déferlante à travers les yeux de Chimène qu’a son éditorialiste en chef pour les jeunes pousses antisémites qui sévissent sur les campus en empruntant aux méthodes et à l’esprit des nervis du Troisième Reich: l’université doit être un espace « Judenfrei », pardon, « Zionistenfrei ».
L’éditorial de Béatrice Delvaux n’est qu’une illustration parmi d’autres de la dérive du quotidien vespéral, jadis journal préféré des Belges juifs (je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître). Qu’il s’agisse de sa couverture du conflit israélo-palestinien ou de l’antisémitisme contemporain, Le Soir a multiplié les dérapages éthiques et déontologiques depuis le 7 octobre 2023.
C’est à cette aune que le quotidien dit « de référence » sera jugé par la postérité.