Anarchie

Des soldats israéliens participant à une manifestation à l'entrée de la base militaire de Sde Teiman près de Beer Sheva, en soutien aux soldats interrogés pour abus présumés sur des détenus, le 29 juillet 2024. (Crédit : Tsafrir Abayov/AP)
Des soldats israéliens participant à une manifestation à l'entrée de la base militaire de Sde Teiman près de Beer Sheva, en soutien aux soldats interrogés pour abus présumés sur des détenus, le 29 juillet 2024. (Crédit : Tsafrir Abayov/AP)

Les liquidations du numéro deux du Hezbollah et du numéro un du Hamas ont fait passer au second plan de l’actualité les graves événements survenus le 29 juillet dans deux enceintes militaires.

Des activistes d’extrême droite, dont un député, Tsvi Soukot, et un ministre, Amichaï Eliahou, sont entrés par effraction dans la base de Sde Teiman, pour que neuf réservistes accusés de sévices à l’égard d’un terroriste palestinien échappent à l’enquête diligentée par la justice militaire. Ce qui se passe dans ce centre de tri des détenus gazaouis est inaccessible aux médias, mais, selon la rumeur, les mauvais traitements y seraient nombreux.

Un peu plus tard, c’est à Beit Lid que ces activistes rejoints par d’autres, ameutés par la députée Likoud Taly Gottlieb, ont accusé les soldats les empêchant d’entrer d’être des « traîtres » et ont crié « mort aux terroristes » et « mort à la procureure militaire ». Deux autres éléments ajoutent à la gravité de l’affaire : des soldats masqués de l’unité 100 ont participé à l’émeute, et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir ne se serait pas contenté d’un soutien théorique aux émeutiers, il aurait ralenti l’intervention des forces de l’ordre.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, tout en condamnant les intrusions dans les bases militaires, s’est contenté de demander « le retour au calme », sans se prononcer sur le fond de l’affaire : le droit pour la justice militaire d’enquêter, de faire son travail tout simplement. Plus tard, il comparera, sans rire, ces incidents avec ceux provoqués par les manifestants soutenant les otages lorsqu’ils bloquent la circulation. Cette comparaison sera reprise par ceux qui considèrent que la guerre autorise l’emploi de tous les moyens, le respect des lois devant être relégué au musée des accessoires.

Le ministre de la Défense, Yoav Galant, et le chef d’État-Major Herzi Halévi, ont bien entendu soutenu le point de vue contraire.

Au-delà des faits, cette affaire soulève bien des inquiétudes. On sait que les pratiques des temps de crise laissent derrière elles d’épais sédiments de pollution politique : des mesures d’exception, des comportements aux marges de la légalité. Plus encore, l’armée, jusqu’ici intouchable, fait l’objet de critiques de plus en plus dures depuis le 7 octobre.

Last but not least, l’association d’élus du peuple à des émeutes participe d’un désordre ambiant dont on se passerait bien en temps de guerre. Un ancien commandant de l’armée de l’air qui ne parle pas pour ne rien dire, considère que les événements du 29 juillet constituent « les prémices d’une guerre civile ». On n’en est pas encore là, mais ce climat d’anarchie musclée n’annonce rien de bon.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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