“Am Yisrael Chaï”, le peuple d’Israël est en vie !

Vienne, 9 novembre 1938. Mon père a 10 ans quand il voit se dérouler sous ses yeux la Kristallnacht, ce pogrom à grande échelle perpétré sur le territoire du Reich dans la nuit du 9 au 10 novembre. Tapi dans la pénombre de la cuisine qui lui sert également de chambre, il observe de sa fenêtre au 3ème étage les SA ivres de haine bouter le feu à la petite “schule” (synagogue informelle) qui se trouve dans la cour intérieure de l’immeuble.

Les récents événements renvoient inévitablement aux souvenirs du passé : d’abord le pogrom du 7 octobre en Israël; ensuite les néo-antisémites et les néo-collabos à l’œuvre ici dans nos rues, sur les écrans, à l’université, au Parlement et jusqu’à certains membres du gouvernement.

Au sein de ma communauté, je vois depuis quelques semaines grandir une terrible inquiétude accompagnée par ce sentiment familier d’esseulement. Je veux leur dire que nous ne sommes pas tout à fait seuls et que les antisémites n’auront pas raison de nous. Ça fait 3 000 ans qu’on en témoigne. Nietzsche dit que “ce qui ne tue pas rend plus fort” et Sartre avance que “c’est l’antisémite qui fait le Juif”. Le premier a raison, le second partiellement : si l’antisémite fait parfois le Juif, il renforce surtout le Juif.

L’Affaire Dreyfus en est une illustration. C’est en assistant à la dégradation publique du capitaine Alfred Dreyfus le 5 janvier 1895 dans la cour de l’École Militaire à Paris, que le journaliste austro-hongrois Theodor Herzl comprend que l’unique solution pour échapper aux persécutions antisémites est de renouer le peuple juif à son destin national. La condamnation inique du capitaine juif transforme ainsi Herzl en Moïse des Temps modernes. Un demi-siècle plus tard, David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’État d’Israël sur la terre ancestrale du peuple juif.

Cette renaissance ne marquera pas pour autant la fin de l’antisémitisme. Elle lui donnera un nouveau visage, celui de l’antisionisme, et une nouvelle langue, celle des droits de l’homme. On reprochait aux Juifs de s’être laissés mener à l’abattoir durant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui on leur reproche de ne pas se laisser faire. Ne leur en déplaise, le peuple d’Israël a depuis 1948 son destin entre ses mains et combat ceux qui rêvent de mettre la Shoah au pluriel.

C’est en gardant ces considérations à l’esprit que nous devons aborder les semaines et mois à venir, et ainsi honorer l’hymne juif à la vie prononcé en 1945 par l’aumônier militaire de l’armée britannique, le rabbin Leslie Hardman, accueillant les rescapés juifs du camp nazi de Bergen-Belsen : “Am Yisrael Chai”, le peuple d’Israël est en vie !

à propos de l'auteur
Né en 1968 à Bruxelles d'une mère marocaine et d'un père autrichien, Joël Rubinfeld est président de la Ligue belge contre l’antisémitisme depuis 2014. Il a précédemment été président du Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique, vice-président du Congrès Juif Européen et co-président du Parlement Juif Européen. Il est diplômé en marketing et communication de l'École Pratique des Hautes Études Commerciales.
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