A vos caricatures  !

Gérard Bensussan (Crédit: Dimitri Sandler. CC 4.0)
Gérard Bensussan (Crédit: Dimitri Sandler. CC 4.0)

Gérard Bensussan, est le fondateur du Parlement des philosophes de Strasbourg. Il a publié en 2020, L’écriture de l’involontaire : Philosophie de Proust. Propos recueillis par Alexandre Gilbert.

Je voudrais relever une contradiction, une non-vue plutôt, et donc une faute politique, dans le double argument suivant (récemment avancé par S. Royal, mais elle n’est pas la seule) : a. l’islamogauchisme n’existe pas et b. il faut lutter contre l’intimidation qui règne dans les établissements scolaires et qui pourrit la vie des profs, lâchement abandonnés par leurs hiérarchies.

Mais d’où vient l’intimidation, pourquoi les chefs d’établissement, les rectorats, les inspections d’académie (et souvent les syndicats enseignants) ne soutiennent-ils guère les profs lorsqu’ils sont mis en cause pour « islamophobie » dans les quartiers difficiles, sous la pression des familles, de certains élèves, des grands frères  ? Parce qu’eux-mêmes craignent et le risque et l’opprobre de cette accusation. Et d’où vient cette crainte  ? D’un climat, d’une sorte de vaporisation culturelle et politique qui s’est diffusée dans certaines parties du pays, d’une « ambiance » djihadiste (Kepel).

Sa domination présuppose deux axiomes simples, grossiers, mais efficaces.

1. L’islam est la religion des opprimés qu’il ne faut pas désespérer, mais au contraire soutenir, même contre la tradition marxiste ou libertaire, contre ce qui fut historiquement la gauche, même contre les profs de gauche.

2. Les musulmans en effet sont les prolétaires, voire les Juifs, d’aujourd’hui (je renvoie à une interview d’Alain Gresh, en 2016, qui est très clair sur l’islamogauchisme qu’il revendique avec probité). L’équivalence est sans fondement mais elle fonctionne assez bien politiquement et légitime programmatiquement les positions d’un parti comme le SWP britannique.

L’introduction dans le champ des luttes politiques de la prétendue « islamophobie », en passe de se substituer à l’usage désormais obsolète du mot « racisme », beaucoup plus juste et dénué d’ambiguité, est un désastre. Que des musulmans soient victimes de discriminations, à l’embauche, au logement, n’est pas contestable. Ce qui est en revanche très discutable, c’est qu’ils le soient en tant que musulmans. Ils le sont, lorsqu’ils le sont, comme « Arabes ».

Je me souviens d’un Assyro-Chaldéen du Xème arrondissement de Paris, un Chrétien d’Irak donc, qui me disait subir le même racisme et dans les mêmes circonstances en raison de sa « gueule de métèque ». Il peut bien y avoir des attaques de mosquées ou d’imams et une hostilité à l’endroit de l’islam, ici ou là. Elle relève des tribunaux et mérite d’être condamnée, et lourdement. Mais elle n’a rien à voir avec une « islamophobie » systémique, une idéologie d’Etat, dont Macron serait le porte-parole agressif.

Ceci est une fiction dont on voit aujourd’hui les ravages dans le monde arabo-musulman (la réaction de gouvernements arabes qui sont tout sauf islamistes, le Maroc par exemple, montre la difficulté à distinguer aussi aisément qu’on croit entre islam et islamisme). M. Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, l’a rappelé: « La France est un grand pays, les citoyens musulmans ne sont pas persécutés, ils construisent librement leurs mosquées et pratiquent librement leur culte« .

Ceci, tout le monde le sait parfaitement, et ceux qui prétendent le contraire, comme lors de la manifestation islamiste de novembre 2019, sont ou bien des cyniques qui tablent sur une prévision et un calcul politico-historiques, ou bien des hypocrites qui font semblant de ne pas voir le problème ou encore des benêts qui y ajoutent foi en toute crédulité. Le mot d’ordre de cette manifestation de l’an dernier était « Islamophobie : le silence tue ».

Qu’on me donne le nom d’un seul musulman tué ces dernières années par « islamophobie », c’est-à-dire pour cette seule raison qu’il était musulman  ! Au contraire la France, les Français, même devant l’horreur des attentats de ces dernières années, jusques et y compris la décapitation de Samuel Paty, n’ont heureusement jamais cédé à la vengeance aveugle et à la tentation de la ratonnade. Pourvu que ça dure ! Car autrement le pire deviendrait possible.

Un dernier point -qui témoigne d’un immense ratage dans l’acculturation d’une partie des musulmans de France. Beaucoup croient de bonne foi que les journalistes de Charlie ont dessiné ou repris des caricatures du Prophète au nom d’un combat anti-musulman. Mais Charlie n’en a jamais eu rien à faire, de l’Islam ou des musulmans pris en particulier.

Sa cause, si l’on peut dire, c’est la caricature tous azimuts, des musulmans, des juifs, des catholiques, du Pape, du dalaï-lama, de de Gaulle, de tous les autres présidents de la République, des riches, des beaufs, etc. Que l’on consulte la collection du journal.

Il y a là un malentendu de départ et de fond. Les manifestations antifrançaises qui secouent en ce moment le monde musulman, dénoncent Charlie, Macron et tous les Français, parce qu’ils seraient animés d’une haine contre le Prophète, l’islam, contre leur religion.

Ceci est faux, répétons-le. Il y va tout simplement de la continuation d’une tradition ancienne, française, européenne, occidentale, celle des libelles et des pamphlets, parfois orduriers, contre Marie-Antoinette par exemple en son temps, de la satire, de l’insulte même, ou du blasphème, et jusqu’à la calomnie et la diffamation.

Il y va de cette liberté qui n’est telle, libre , qu’à raison du choc qu’elle provoque chez les intéressés. L’islam n’en est nullement la cible privilégiée. Ce privilège, ce sont les musulmans, une partie d’entre eux, qui le lui ont artificiellement conféré, en se sentant sincèrement blessés, mais à l’excès.

A eux de faire avec cette blessure, à eux de la tempérer et de l’apprivoiser culturellement, d’y répondre par de semblables moyens, à eux de nous caricaturer autant qu’ils veulent…

à propos de l'auteur
Alexandre Gilbert, directeur de la galerie Chappe écrit pour le Times of Israël, et LIRE Magazine Littéraire.
Comments