À tombeau et cieux ouverts
C’est depuis Yeroushalayim, la ville de Schlomo (Jérusalem, la ville des Schlomim, des orfèvres, gardiens et artisans de la Paix) que le président italien Sergio Matarella en visite en Israël a appris la catastrophe qui a ravagé le centre de son pays.
Et c’est depuis l’Université hébraïque de Jerusalem qu’il a remercié le Premier ministre Netanyahu pour son offre prompte d’aide à l’Etat italien.
Sur la terrasse de l’Université il a regardé le Har Habaït, le mont du Temple, et contemplé la rumeur incessante de cette ville qui fait trembler jusqu’à la lumière du soir et du matin.
On peut donc dire que le locataire du Palais du Quirinale, à deux pas du Vatican a été à Jérusalem, comme un « pont ». D’ailleurs « pont » et ‘Pontife » c’est le même mot. Beaucoup de ponts italiens sont tombés ce matin du 29 octobre.
Terre liquide
La Péninsule était coupée par une faille sismique de 30 km de longueur, située à 10 000 m de profondeur (ce qui est très peu à l’échelle tellurique et équivaudrait sur notre corps à une démangeaison brutale au niveau du sous-épiderme).
La ceinture correspondant à la route franciscaine de Rome à Pérouse via Assise, et même jusqu’à la mer Adriatique (Lazio, Marche, Ombrie), était donc secouée par deux puissants tremblements de la terre, et plus de 200 répliques sismiques dont il faut rappeler qu’elles se déploient autant en profondeur/hauteur qu’en distance, ce qui fait que tout ce qui vole les ressent avant même tout ce qui rampe et marche au contact du sol comme nous.
Il existe, de l’Adriatique à la mer Tyrrhénienne une longue plaie tellurique, profonde, induite par la subduction de l’Europe sous l’Afrique, et qui court de la Vénétie à la Sicile ponctuée par l’Etna en éruption.
Elle s’inscrit sous le cours du Tibre qui traverse Rome et s’est échauffée à l’aplomb de la rivière Nera, son principal affluent et semble vouloir creuser un canal entre l’Orient de l’Europe et l’Afrique du Nord libyque d’où vient actuellement le Sirocco des réfugiés humains dans les terres méridionales de l’Europe.
L’Europe de l’Ouest s’enfonce dans l’Afrique de 7mm/an. La subduction de celle de l’Est contre le plateau africain est deux fois plus rapide. C’est ce « hiatus » cinétique accumulant de gigantesques forces qui a explosé depuis 10 ans en Italie et a secoué jusqu’au Vatican et à l’Autriche et les rives pas si lointaines du Danube.
Le président Matarella était en Israël au moment où, tandis que s’écroulaient le monastère et l’église bénédictine de Nursie érigés sur la maison natale de Benoît, fondateur du monachisme occidental (Congégation-mère sise à Subiaco près de Rome), en même temps que l’abbaye franciscaine Sant Antonio, et que Amatrice étaient rayées de la carte, les scientifiques financés par le Royaume de Jordanie ainsi que les religieux chrétiens catholiques et orthodoxes ouvraient la dalle protégeant la banquette où le Rabbi galiléen est dit avoir été déposé juste avant le soir de Pessah, après sa déposition de croix de l’autre côté du Kidron (Cédron).
Deux milliards d’êtres humains baptisés sont sûrs qu’il est de cet endroit définitivement ressuscité, et que ce fut conformément à la Tradition prophétique d’Israël.
Pierre qui roule…
Le sépulcre de Yossef d’Arimathie au-dessus duquel fut érigé l’Edicule en la Basilique du Saint Sépulcre a été donné à Jésus qui n’avait « pas une pierre où poser la tête » (Mathieu 8:20).
Celui qui a dormi dehors presque toutes les nuits estivales de sa vie d’adulte soumet ainsi toujours le monde à de grandes questions et à de profondes réponses :
Entre le Kotel et les murs qui s’écroulent, quelle est la place pour une Espérance commune ? Entre les murs de Jerusalem qui sont aussi les remparts qui divisent sociologiquement les communautés et ceux du monde que l’UNESCO qui a la responsabilité institutionnelle de les réduire, élève par son dénigrement, quelle est la place des artisans de la paix ?
Peut-on financer la découverte du Rocher de Jésus ressuscité tout en niant la découverte du Mur d’Israël ressuscité ? C’est une incohérence proprement historique c’est-à-dire métaphysique.
Une question posée par ceux qui la découvrent aujourd’hui au Saint Sepulcre/Anastasis, comme ceux qui la dévoilent.
Le Mur de Jerusalem est nu.
Que va dire, aussi, la pierre nue du Tombeau ? Son impudeur sera-t-elle soutenable à ceux qui la verront, puisque celle du Mur de Salomon et de David ne l’est pas pour ceux qui ne la regardent pas ?
Entre la tombe découverte de Jésus dont les chrétiens croient à leurs risques et périls qu’elle a été ouverte il y a deux mille ans de l’intérieur, et une fois pour toutes, et les fosses communes recouvertes d’Alep, de Mossoul, de Srebrenica ou de Kiev, les tombes sans sépulture, quelle est le signe que nous pouvons y voir ?
En quoi rebâtir Nursie comme l’a déclaré le prieur américain du monastère et le PM italien Renzi doit être aussi rebâtir l’homme, rebâtir Israël, rebâtir un Temple vivant dont on voit qu’il n’est ni mort ni disparu puisqu’il est contesté, honni, vénéré, convoité et parle encore au monde venu y recevoir les Berakhot de Soukkot ?
Le paradigme des corps
Le peuple d’Israël dispersé et celui rassemblé est un seul peuple.
L’humanité exilée et celle croyant être à l’abri de ses murs est une seule humanité.
Ce qui s’écroule sont les certitudes. Ce qui s’écoule le long des murs, comme le Cédron apparement inoffensif est le torrent des pertes humaines.
Elles sont historiquement, métaphysiquement, physiquement et sociologiquement inestimables. Elles exigent, depuis le Kotel qui résiste à tout et même au doute, depuis le Colisée, lieu en écroulement permanent, de martyre chrétien et juif et de dévorations païennes, lieu devenu mémorial d’Israël par procuration romaine, qui s’est fissuré en ses ruines même avant hier, elles exigent un retournement sur soi et une remise en chantier de la compréhension du monde.
Il faut découvrir ce qu’est un corps enseveli sous les ruines d’Amatrice ou d’Alep, ce qu’est un corps en attente d’onction et de consolation, ce qu’est le corps d’Israël, sous toutes ses coutures politiques, étatiques, culturelles, ethniques, cultuelles et spirituelles, enseveli et revenu à la vie, ce qu’est aussi le corps de l’Eglise de même persécuté qui est présent à Jerusalem exceptionnellement uni, précisément parce qu’il n’était pas dans le tombeau qu’il a déserté, mais en train d’en contempler l’ouverture, d’en dévoiler le sens.
Nous sommes là, face au « miracle » archéologique qui a ses limites intellectuelles, dans la position du miraculé qui regarde son grabat. On va chercher, sans doute, ce qui n’est plus, ce qui reste, un ADN de ce qui fut. Sans peut-être se douter que ce qui est sorti vivant c’est l’archéologue lui-même.
Nous ne sommes pas ici-bas pour pleurer sur le passé et rentrer à la maison sitôt jeté le dernier mouchoir. Mais pour nous souvenir de ce que nous serons : des ruines en relèvement, des pierres qui tombent si elles ne s’appuient pas les unes sur les autres, des mottes de poussière agglomérée qui avons le pouvoir de retenir jalousement leur respiration divine jusqu’à la suffocation. C’est une rétention fanatique qui prive l’Histoire d’oxygène.
La mécanique des huiles
Il est intéressant de voir que toutes nos guerres reposent sur la conquête de l’eau dont nous sommes faits à 70% et sur la méthanisation des existences passées, fossilisées et liquéfiées par pression.
Ce qui était liquide devient solide et ce qui était solide devient liquide. Israël qui était dans l’amnios de la Promesse est venu au monde, et le monde qui était un roc d’empires superposés est redevenu sous la pression de sa modernité abrasive subductante, fluide et torrentiel. Un roc liquéfié et effusif.
Or, dans cette liquéfaction d’écroulements successifs, il y a les pierres du Kotel, il y a la banquette funéraire de l’Anastasis qui le jouxtent. Tous deux vestiges d’une absence étrange, déroutante, déconcertante au sens où elle brise le concert des nations qui aujourd’hui semble anachronique.
Le Kotel sans Temple et le Tombeau sans Corps.
Cette béance où chacun cherche un salut ou ce qu’il croit l’être, et se cherche lui-même est aussi un comblement comme l’a été le Kidron par les ingénieurs romains qui avaient l’obsession de l’aplanissement égalitaire, comme l’Europe juriste d’aujourd’hui, celle qui invente « premiums », médailles, récompenses et titres honorifiques à quiconque se distingue du peuple par sa normalité humaine, par des vertus communes apparement devenues si rares qu’il faille les encenser.
Le Tombeau de Jerusalem est un tombeau dont la meule d’entrée est aujourd’hui encore maintes fois réutilisée pour exprimer l’huile de consécration avec le corps des saints connus ou inconnus, même ceux qui s’ignorent, des persécutés, oubliés et déportés de tous horizons.
Elle est la Mémoire des siècles, non hors du temps, mais aujourd’hui, en cet hiver austral comme septentrional, elle coule à flots en ces temps, cette huile liquide, liquéfaction des vies meurtries.
Et contrairement à celle, noire, qui vient suinter des failles les plus profondes de la terre, elle vient d’en haut, des failles du ciel qui n’est ni de vapeurs ni de granit, et laisse passer la lumière, fait briller le front des innocents et apaise les brûlures des incompréhensions.
Ce liquide-là affermit quand l’huile noire dissout et confond. C’est un miel sans butinage. L’une et l’autre huile créent le mouvement. Le pétrole (huile de pierre) vainc à grand effort l’inertie des choses et s’extraie à grand peine de la pesanteur mais, quand il déborde, englue le vivant dans celle de la nonchalance et du pouvoir.
C’est une bénédiction stockable qui présente alors un risque certain de malédiction.
L’huile végétale et millénaire de l’olivier naît elle aussi de l’écrasement et vainc l’inertie de la mort par subduction, par goudronnage de la conscience, par noir enfumage de la Nuée ardente qui éclaire le discernement.
C’est une malédiction assimilable qui présente une chance surnaturelle de bénédiction.
La « Mare Nostrum » des contradictions
Le ‘monde » récompense la paix,la justice, la persévérance par l’olivier de la Concorde (cultivé en pot, contrairement au chêne de Mamré aujourd’hui en restauration par les chrétiens orthodoxes).
Mais dans le même temps, l’huile noire et souterraine nourrit la haine d’Israël et englue le jardin où le chêne de la Rencontre et de la Fertilité et l’Olivier de la Résurrection et du Sacerdoce se côtoient.Adam « semper reformanda » (1)
Tout ce qui advient n’est pas pour nourrir la frayeur -car les marchands de caraclysmes à recycler en buzz sonnant et trébuchant et en haines mercantiles ne manquent pas- mais l’amour qui est le retentissement du salut sorti vainqueur du tombeau et attendri par les larmes hurlantes d’Abraham devant Sodome et celles de Jésus devant Sion.
Anastasis. Résurrection à Jérusalem : la ville du Tombeau ouvert et du Mur de la fondation d’Israël à cieux ouverts, où ceux qui prient en sont les pierres vivantes. Inséparables, sacrées et inoubliables. (1 Pierre 2:4)
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(1) « Ecclesia reformata semper reformanda » Eglise réformée toujours à réformer » – Devise du protestantisme luthérien reprise par le pape François (sous sa forme originelle : » Ecclesia semper reformanda est » -L’Eglise est toujours en réforme- explicitée par St Augustin) pour illustrer le thème de son voyage œcuménique en Suède 31/10 et 1/11 où il commémore exceptionnellement les 500 ans du luthérianisme.