A propos de « Reste un peu »
Sur le fil, tout en nuances, Gad Elmaleh parle de son cheminement spirituel avec un humour qui fait du bien.
Va-t-il franchir le pas du baptême catholique, oui ou non ? Va-t-il renoncer au Judaïsme pour écouter la Vierge Marie ? Ou bien écouter ses proches et des Rabbins bien inspirés ?
Heureusement, aucune réponse n’est donnée. Ce film d’auteur est surtout très riche en question, c’est là sa force. Une bouffée d’air frais au milieu de ces obsessions identitaires et communautaristes qui ont cours actuellement.
Il fallait beaucoup de courage pour aborder publiquement, avec sa notoriété, ce thème de l’hypothèse d’une conversion d’un juif au catholicisme. Et Gad Elmaleh s’en tire admirablement avec esprit, élégance et intelligence.
Parmi les nombreuses « Joke » du film, j’en retiens deux particulièrement. Sa rencontre avec un moine qui lui débite les horaires des messes du jour dans le désordre le plus confus. Et la plus drôle sur la judéité du Christ : « Un homme qui proclame être la vie, le chemin et la vérité et qui se prétends Fils de D. ne pouvait être qu’un Juif Séfarade.»
Juifs, Chrétiens, Musulmans ou athées, tous les personnages du film apportent une part de vérité sur le chemin de l’auteur. « Reste un peu » est en quelque sorte un Road Movie, un voyage, fait de rencontres toutes pertinentes et pleines de lumières.
Comme ces deux Rabbins tout droits sortis d’un film de Woody Allen qui lui proposent les Tephillin à la sortie de l’église de façon spontanée, en lui rappelant que c’est une pratique assez courante aux USA, mais qu’en France… Comme ces deux autres Rabbins différents, l’un fictif (Pierre-Henri Salfati, réalisateur et scénariste dans la vie) qui l’accepte tel qu’il est dans son cheminement, le respecte, sans lui asséner des vérités. L’une réelle avec Delphine Horvilleur. En quelques mots, elle lui rappelle l’importance de la cassure qui est en nous, mais qui permet de voir les autres plus distinctement.
« Reste un peu » est aussi un magnifique portrait de famille. Le cousin qui fait des blagues un peu lourdingues à table, (il en tente une sur les Ashkénazes mais on lui coupe la chique !), une engueulade qui n’en n’est pas une, sa mère qui peint la nuit dans sa salle de bain, son père scotché à un jeu vidéo habillé en pilote de ligne, ses parents qui chantent en duo avant de s’endormir (très belle scène), etc.
Un film qui aborde aussi sans tabou la regrettable méconnaissance réciproque entre ces deux « religions ». « Ah bon, Marie était juive ? » dit sa mère à un moment. Et cela me rappelle une blague de l’écrivain français Philippe Sollers. C’est l’histoire d’une femme catholique qui sort d’une église et aperçoit un jeune rabbin en train de lire sur un banc. Curieuse, intriguée, elle lui demande : « Que lisez-vous ? » Il lui répond : « La Bible en Hébreu ». « Ah bon ? La Bible a été traduite en hébreu ? ». Du coq à l’âne, j’en profite pour saluer ici l’excellent texte « Judaïsme versus Christianisme » de Maurice Ruben Ayoun publié récemment sur son blog.
Mais au fond, que cherche Gad Elmaleh dans cette quête spirituelle ? Je pense qu’il ne pourrait pas lui-même répondre à cette question et moi encore moins. Une piste cependant… En tout cas, c’est ce que j’ai ressenti… Celle du rapport à « la famille » justement. Et c’est là le génie du film. Le Christianisme comme le Judaïsme tiennent un discours clair sur cette question.
« L’Eternel dit à Abram : Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai. Genèse 12 :1 » (traduction Louis Segond). Jésus est encore plus radical : son père, qui est-il ? Vaste question ! En tout cas pas Joseph, ce figurant des Evangiles.
D’ailleurs, sa généalogie est floue. Il est censé descendre du Roi David, mais il est né d’une Vierge. Ses frères ne sont pas ses frères, ses sœurs ne sont pas ses sœurs. Dans Matthieu 12 : « Quelqu’un lui dit : Voici, ta mère et tes frères sont dehors, et ils cherchent à te parler. Mais Jésus répondit à celui qui le lui disait : Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Puis, étendant la main sur ses disciples, il dit : Voici ma mère et mes frères… »
Comble d’extravagance, il est même, d’après Dante au début du chant XXXIII du Paradis, le père de sa mère, « Vierge Mère, fille de ton Fils, (figlia del tuo figlio) humble et élevée plus qu’aucune créature, terme fixe d’un éternel conseil ». Difficile d’être plus subversif sur les liens familiaux. Et, pour le dire vite, dans le Judaïsme comme dans le Christianisme, il est vivement conseillé de partir au marge (je voulais dire au large, mais je laisse cette heureuse erreur de frappe.)
Gad Elmaleh construit avec finesse une altérité entre ses personnages. Sa mère et Marie, Sœur Catherine et sa sœur Judith, le père Barthélémy et son ami Mehdi, son père et les Rabbins.
Et cet énigmatique personnage de vieil homme mécréant, sorte d’intello bougon complotiste, à qui il lave les pieds, après sa rencontre avec Agnès.
Je ne peux que me reconnaître dans sa démarche d’aller chercher chez l’autre dans un élan spirituel ce qu’il me manque pour me construire. Chapeau Gad Elmaleh, l’amour circule dans votre merveilleux film !
Ps : à lire aussi l’article publié sur le Times of Israel à propos du film