A Haffouz, près de Kairouan, Stephen Pichon est encore vivant

Stephen Pichon au Ministère des Affaires Étrangères en 1918 • © Gallica/Agence Meurisse
Stephen Pichon au Ministère des Affaires Étrangères en 1918 • © Gallica/Agence Meurisse

A Haffouz, près de Kairouan (Tunisie) Stephen Pichon est encore vivant

C’est une bien jolie histoire. Stephen Pichon (1857-1933) fût (qui s’en souvient ?) un grand ministre français des Affaires Etrangères. A plusieurs reprises durant au total 8 ans il fût le ministre qui avec Clémenceau présida aux réunions du traité de Versailles après la guerre de 1914-1918.

Injustement oublié en France aujourd’hui il n’y a guère qu’à Dole dans le Jura qu’on préserve et entretient le souvenir de celui qui fut un grand élu du Jura et de Dole.

Mais c’est en Tunisie et plus particulièrement à Hafouz que son nom s’est d’une drôle de façon perpétué.

Résident général de France en Tunisie de 1901 à 1906, il prit très rapidement conscience des inégalités criantes entre les régions de Tunisie et c’est à l’occasion d’un déplacement dans la région de Kairouan en 1904 qu’il décida la suppression d’un impôt sur l’huile d’olive (la dîme). A Hafouz, il visita ce qui tenait lieu d’école, des oliveraies et s’alarma de la misère qui touchait toutes les familles.

Il semble mais on n’en a pas à ce jour retrouvé la trace incontestable qu’il décida de l’affectation de terres cultivables à de nombreuses familles de Hafouz et c’est sans doute à cette occasion que le caïd des jlass (tribu importante de la région de Kairouan composée de bédouins et de berbères qui s’illustra dans de nombreuses guerres tribales et dont la vocation a très longtemps été de protéger Kairouan) décida en l’honneur de Stephen Pichon de baptiser Hafouz du nom de Pichon.

Stephen Pichon à quitté la Tunisie en 1906 puis est décédé en 1933. La France a quitté la Tunisie en 1956. Mais le nom de Pichon est aujourd’hui encore très souvent accolé à Hafouz. La prononciation du P en Tunisie est compliquée et le P devient quasi toujours le B dans le Tunisien dialectal. Tout comme la prononciation de ON se transforme quasi systématiquement en OUN.

De telle sorte que peu à peu Pichon est devenue Bichoun. Et en 2021 près d’un siècle après la mort de Stephen Pichon si on est à Kairouan et que l’on cherche à se rendre à Hafouz il n’y a qu’à demander à n’importe quel Kairouanais la route de Bichoun. Et il vous l’indiquera sans difficulté. A Hafouz des enfants de moins de 10 ans savent qu’ils habitent Hafouz ou Bichoun.

Bien entendu personne ou presque ne sait pourquoi Hafouz se nomme aussi Bichoun. Sauf quelques vieillards attablés dans les cafés populaires de cette grouillante petite ville.

Et c’est peut être bien ainsi. Mais quelle jolie histoire et quelle leçon d’humilité. La France dont Stephen Pichon fût un grand ministre l’a relégué dans les caves de l’histoire mais Hafouz, elle, à sa façon le rend immortel car il y a fort à parier que dans trente ans dans soixante ans Bichoun éclairera encore le sourire des gamins qui jouent au ballon entre les oliveraies.

à propos de l'auteur
Né en 1963 à Paris il est collaborateur de plusieurs hommes politiques français avant d'intégrer une compagnie d'assurances entre 1984 et 1994 puis dirige un cabinet de courtage en Afrique de 1994 à 2001. A Bordeaux il dirigera les campagnes électorales de plusieurs élus et sera commissaire d'une importante exposition d'art africain en 2000. Depuis 2007 il est le gérant d'Axys biens étrangers en Tunisie chargée de recenser et de mettre à jour les titres immobiliers ayant appartenu aux juifs de Tunisie et de les vendre.
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