8 octobre

Petit comme grand malheur, est toujours bon à quelque chose. Plutôt bien que mal remis d’une grippe carabinée, Jonathan voulut rapidement faire profiter ses bons copains de cette vérité éternelle. Des brumes de la réalité biscornue, de sous les effluves des sirops, des concoctions diverses et bizarres imposées, du mélange d’images imprécises et de pensées floues, issus de l’état second dans lequel il avait été plongé, il avait vu soudain, surgir la Vérité. Du moins telle qu’elle s’était imposée, de toute sa force. Instantanément. C’était justement, ce qu’il voulait tester auprès d’eux. Cette Vérité longtemps imprécise, après laquelle il courait, miraculeusement révélée, tenait-elle vraiment dans la vraie vie retrouvée ?

Il reprit donc devant eux, curieux, attentifs, vigilants, concentrés, les composantes de cette révélation miracle.

7 octobre. Ce qui n’était pas nouveau, c’était de quoi était signe la terrible réalité du 7 octobre. Bien entendu, de l’inhumanité absolue que libère chez l’homme la barbarie intrinsèque d’un islamisme messianique. Mais, du pont de vue d’Israël, signe de la trahison de la promesse vitale que représentait pour les juifs, la création de leur Etat. Constituer le lieu inviolable, les libérant de millénaires de dépendance, d’humiliation, de massacres. Garantissant leur vie et leur liberté. Signe de la faillite dramatique d’un système militaire, sécuritaire, jusque-là ‘’sûr de lui et dominateur’’. Incapable de voir, créés sous son nez, depuis une quinzaine d’années, une ville ennemie entièrement souterraine, une armée suréquipée, surentraînée. Incapable d’apporter une journée durant, un secours organisé à une population civile martyrisée, abandonnée. Ne devant une partie de sa survie qu’au courage, à l’abnégation, au sacrifice individuel. Signe de la déliquescence d’un corps politique et de gouvernement, devenu totalement hors-sol. Englué dans un jeu truqué de prise de pouvoir, de déni de justice, de pollution par l’extrémisme religieux, de corruption, d’abandon de missions régaliennes. Signe de l’endormissement moral d’une population acceptant passivement l’abandon au bombardement périodique du sud israélien, et la croissance des exactions en Cisjordanie. Enfin, signe de la sclérose institutionnelle des organismes internationaux acceptant l’existence du régime félon des Mollahs iraniens, infestés par un antisionisme prédominant.

8 Octobre. La divine surprise. Israël, ce pays considéré comme un miracle de dynamisme économique, technologique, culturel. Mais aussi comme une démocratie en pleine déviance. Devenant sectaire, nationaliste, discriminante. Victime de l’excès du sur-capitalisme, l’inégalité sociale, économique croissante, l’individualisme d’une jeunesse trop libérée.

8 octobre. Israël retrouvé. Dans l’espace et le temps d’une journée. Spontanément, la jeunesse décriée, soupçonnée, en un seul mouvement se présente, rassemblée, immédiatement engagée, volontaire. Confirmant jour après jour, mois après mois, sa valeur, son sens du sacrifice, son souci d’abolir tout risque futur, son sens de la nation. Spontanément, en une journée, la solidarité intergénérationnelle, interethnique, interclasses s’exprime dans toute son étendue. L’extraordinaire mixité de fait de la population israélienne, devient d’action. Unissant indéfiniment ashkénazes, sépharades, juifs, Druzes, bédouins, religieux, laïcs. Spontanément, l’altruisme, l’entraide mobilisent des associations diverses et multiples, les individus, femmes, hommes, jeunes, vieux. Pour accueillir les familles, villages, déplacés, pour subvenir à leurs besoins immédiats, pour aller suppléer dans les moshavim et les kibboutzim vidés de leurs habitants, le manque de main d’œuvre, entretenir les biens et les cultures.

8 octobre. Dans l’espace et le temps d’une journée, la société israélienne est redevenue elle-même. La société, c’est-à-dire, l’ensemble de ses citoyens. Redevenus responsables, directement, de leurs vies et de leur futur. Indépendamment de structures politiques. Trop rigides pour suivre et encore moins commander le rythme des évènements. Trop encombrées de leur vie propre pour participer à la vraie vie de la nation. Une société des citoyens retrouvant l’élan, la mobilisation, les envies et les motivations de la société sioniste originelle.

Jonathan marqua une pause. Peut-être autant pour retrouver un souffle encore un peu court, que pour avertir.

Voilà cette fameuse Vérité ! Dans le monde moderne, et encore plus le monde super moderne que constitue la réalité israélienne, le 8 octobre dévoile la Vérité. L’univers politique classique, hérité des siècles passés, ne correspond plus au monde actuel et à venir. Pour paraphraser, il est caduc. A jeter aux orties. Israël, comme d’habitude, aux avant-postes de l’humanité, doit se réaliser en inventant une nouvelle forme démocratique. En effectuant une vraie, déterminée, révolution copernicienne. Annuler le dévoiement du « gouvernement du peuple par le peuple ». Instituer le principe de subsidiarité en principe universel. Faire des « politiques » des exécutants et non plus des dirigeants. Soumis à un mode de contrôle permanent.

Bien entendu, tout sera à revisiter. Primauté à l’éducation, au savoir, à la science, la culture. Mise du tout militaire sous tutelle, culte de l’égalité, la liberté et la fraternité. Séparation de l’Eglise et de l’Etat…

Mais, rassurez-vous. Le djihadisme gazaoui comme iranien, l’antisémitisme mondialisé renaissant, la sclérose institutionnelle internationale, tous se sont trompés d’ennemi.

Israël is back. Plus fort qu’avant.

Les boissons fortes eurent beau remplacer le café épuisé. Le match nul des opinions se stabilisa. Entre les laudateurs d’une vision anticipatrice justement optimiste et les détracteurs d’une illumination maladivement naïve.

Seul, Jonathan se sentit beaucoup mieux.

à propos de l'auteur
Fort d'un triple héritage, celui d'une famille nombreuse, provinciale, juive, ouverte, d'un professeur de philosophie iconoclaste, universaliste, de la fréquentation constante des grands écrivains, l'auteur a suivi un parcours professionnel de détecteurs d'identités collectives avec son agence Orchestra, puis en conseil indépendant. Partageant maintenant son temps entre Paris et Tel Aviv, il a publié, ''Identitude'', pastiches d'expériences identitaires, ''Schlemil'', théâtralisation de thèmes sociaux, ''Francitude/Europitude'', ''Israélitude'', romantisation d'études d'identité, ''Peillardesque'', répertoire de citations, ''Peillardise'', notes de cours, liés à E. Peillet, son professeur. Observateur parfois amusé, parfois engagé des choses et des gens du temps qui passe, il écrit à travers son personnage porte-parole, Jonathan, des articles, repris dans une série de recueils, ''Jonathanituides'' 1 -2 - 3 - 4.
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