70 ans après la création de l’Etat hébreu, les grands défis régionaux qui attendent Israël

Sur la scène régional et internationale…

D’abord, il faut bien reconnaître qu’en 70 ans d’existence, et ce en dépit des fortes tensions actuelles, la situation internationale et surtout régionale n’a jamais été aussi bonne pour l’Etat hébreu.

Les sept ans de bouleversements faisant suite aux révoltes arabes, et surtout la montée en puissance d’un groupe tel que Daech, les crises, les affrontements interarabes et inter-religieux chez leurs proches voisins ont d’abord pu présenter un certain avantage (bien fragile) pour les Israéliens. Ce chaos a eu au moins le mérite de changer la donne géopolitique de la région et, donc, de consolider certaines alliances pour Israël ou d’en faire apparaître d’autres. Mais elle a fait naître également de nouvelles menaces.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, pour certains pays occidentaux, ou du moins pour les plus éclairés et les plus pragmatiques, au premier rang desquels les pays européens victimes du terrorisme islamiste (ou simplement confrontés, comme les pays du centre et de l’est de Europe – Autriche, Hongrie, la République tchèque, Roumanie… -, à une déferlante migratoire à majorité musulmane), la coopération avec l’Etat hébreu redevient d’actualité.

Chypre et la Grèce ont d’ailleurs déjà signé avec Israël de nombreux accords commerciaux, énergétiques mais aussi et surtout, militaires… Face au même danger de l’islamisme radical, qui peut se permettre sérieusement de se passer de l’expérience et du savoir-faire israélien dans la lutte contre le terrorisme ?
Israël a su tisser et consolider sa coopération sécuritaire mais aussi ses liens d’amitiés et surtout commerciaux avec de grandes puissances comme l’Inde ou encore la Chine.

Quant aux rapports entre l’Etat hébreu et la Russie, le nouveau Juge de paix de la région depuis son intervention en Syrie, ils sont excellents et ne sont plus à démontrer. Mais j’y reviendrai plus loin…
Enfin, nous l’avons vu ces derniers mois et ces dernières semaines, avec les Etats-Unis de Donald Trump, Jérusalem n’a jamais connu un tel soutien venant de son principal et plus puissant allié, et qui est encore, rappelons le, et que cela nous plaise ou non, la seule puissance globale de la planète.

Au niveau strictement régional, là aussi, nous assistons à une évolution positive pour Israël.
Ainsi, depuis ces dernières années, les relations commerciales mais aussi la collaboration sécuritaire, spécialement dans le domaine du renseignement, se sont formidablement intensifiées entre Israël, la Jordanie et la grande Egypte de Sissi (les deux seuls pays arabes à avoir déjà signé une paix officielle avec Jérusalem).

Même les Etats du Golfe dont le plus grand d’entre eux, l’Arabie saoudite, le pays « des deux mosquées sacrées » (notamment du fait de l’hégémonie grandissante de l’adversaire commun dans la région, l’Iran) se sont depuis paradoxalement et fortement rapprochés de l’Etat juif pourtant si honni par le passé. Ces nouvelles inflexions vont peut-être mettre fin à cette hypocrisie historique et diplomatique qui a toujours caractérisé, depuis des décennies, les relations entre Israël et ses voisins arabes qui loin du catastrophisme des médias ou des communiqués officiels et enflammés de part et d’autre, ont toujours discuté ou commercé en coulisses…

Alors, s’il faut retenir un seul défi ou une menace cruciale pour Israël dans la région, et comme le montrent les tensions de ces derniers jours, nous devons évoquer l’Iran. Là encore, même si certains jouent à se faire peur et qu’il est vrai que manipuler des allumettes sur une caisse d’explosifs est toujours dangereux, il faut savoir raison garder et sortir du sensationnalisme ambiant pour prendre un peu de recul.

En Syrie, les Israéliens ne veulent absolument pas voir s’installer un « Iran Land » à ses frontières et fera tout pour que cela ne se produise pas. C’est la raison pour laquelle, Tsahal cible quasi quotidiennement, depuis des mois et toujours avec le blanc-seing russe, les positions et les déplacements d’armes iraniennes comme dans la nuit du 10 mai où, en réponse à vingt tirs de missiles contre le territoire israélien, plus d’une cinquantaine de cibles ont été durement touchées.

De toute évidence, même si certains annoncent une confrontation imminente, un affrontement de grande ampleur entre l’Iran et Israël est peu probable. Il aurait d’ailleurs déjà pu avoir lieu depuis bien longtemps, notamment lors de la centaine de frappes israéliennes précédentes sur la Syrie et qui ont parfois causé la mort d’officiers iraniens et de la milice chiite libanaise. Toutefois, comme on le voit encore ces derniers jours, Téhéran et la milice chiite libanaise font le dos rond.

Les Iraniens, comme le Hezbollah d’ailleurs, n’ont jamais engagé des représailles d’envergure contre Israël, et ce pour trois bonnes et simples raisons : D’abord, s’ils le faisaient, ils perdraient immédiatement leurs derniers soutiens européens notamment depuis le récent retrait fracassant des Américains de l’accord sur le nucléaire iranien. Ensuite, malgré leur expertise et leur efficacité certaine du combat au sol, ils n’en ont, pour l’instant, absolument pas les moyens militaires. Enfin, ils savent pertinemment, connaissant les Israéliens, que cela leur en cuirait.

Et puis ne soyons pas naïfs, Israéliens et Iraniens, malgré les apparences, sont des pragmatiques, et encore une fois, dans l’arrière cuisine, des canaux de discussions existent en cas de crise trop grave…
Par ailleurs, les Russes et même Bachar el-Assad, ne voient pas d’un très bon œil une présence iranienne pérenne en Syrie. Signe des temps, ce 9 mai, Netanyahou a été l’invité d’honneur de Poutine au défilé de la victoire de la Seconde Guerre mondiale…

A terme, si les Iraniens (comme le Hezbollah au Liban), ne souhaitent pas perdre tous les bénéfices économiques et commerciaux de leur victoire en Syrie, il est fort possible que sous la pression du Maître du jeu russe (qui n’est au final qu’un partenaire tactique et non un allié), ils préféreront calmer le jeu et effectuer un certain retrait afin de préserver leur influence politique mais aussi leurs billes dans les parts de marchés de la reconstruction du pays.

Sauf incident grave, Trump comme les Israéliens ne veulent raisonnablement pas d’un conflit ouvert avec l’Iran. Ce n’est dans l’intérêt de personne.

De fait, comme le disait le général de Gaulle à propos de la Russie et du communisme, la grande Perse finira par boire comme un buvard le fondamentalisme chiite. La question est de savoir comment et dans combien de temps.

Le Président américain veut simplement accélérer ce processus inéluctable. Avec son retrait du JCPAO, il pense, comme l’a fait Reagan avec l’Union soviétique, imposer une pression insupportable sur Téhéran, asphyxier et mettre à genoux les mollahs. C’est un pari risqué car le régime est solide et pour l’instant, il n’est pas prêt de s’effondrer comme un château de cartes.

Au mieux, les responsables iraniens (qui sont très intelligents), pris à la gorges et déjà confrontés à de gros problèmes socio-économiques (cf. les manifestations violentes de cet hiver – et qui se poursuivent encore aujourd’hui sporadiquement – contre la corruption des élites, la vie chère et les aventures extérieures), se résignent finalement à revenir à la table des négociations afin de sauver ce qui peut l’être encore… Nous verrons bien.

Pour finir, beaucoup critiquent le fait qu’Israël a depuis 70 ans défini ses relations avec les Arabes par la force et la violence brute. Ses réactions « disproportionnées » lui sont souvent reprochées. Soit. Mais je leur rappelle, que nous sommes en Orient et non en Scandinavie et que sans cela, l’Etat hébreu n’aurait pas tenu une semaine.

En s’étant construit et se comportant telle une Sparte moderne et orientale, Israël est certes voué aux gémonies par ses voisins mais il a toujours été respecté et craint. Et cela compte énormément dans cette partie du monde. Mais la grande force des Israéliens, c’est qu’ils n’ont pas le droit de perdre, qu’ils ne laissent rien au hasard et que surtout, ils savent reconnaître leurs faiblesses et surtout apprendre de leurs erreurs (guerre de 1973, les 2 Intifadas, guerre de 2006 au Liban…).

Aujourd’hui, la suprématie militaire et conventionnelle israélienne sur toutes les forces arabes ou régionales reste plus que jamais incontestable. Grâce à sa puissance de feu inégalée et sa supériorité dans le renseignement high-tech comme humain (tel qu’on l’a vu avec la précision des raids en Syrie ou la récente exfiltration d’Iran de 500 kg de documents sensibles), l’Etat hébreu est un pivot stratégique.

Moscou l’a d’ailleurs très bien compris… De toute évidence donc, Israël est encore loin de connaître le sort des Etats latins d’Orient aux XIIe et XIIIe siècles et les dirigeants arabes actuels l’ont parfaitement assimilé en se disant qu’il serait temps à présent de composer avec « l’Etat sioniste ».

Dans ce sens, de plus en plus de chefs d’Etats arabes, comme l’égyptien Sissi ou encore le jeune prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane (MBS), ont pris conscience, comme le prouvent ces dernières années de drames, qu’Israël devait être un partenaire à part entière et que surtout, il n’était pas l’unique « problème » du Moyen-Orient. D’autre part, ils savent que d’autres défis plus urgents (souvent pour leurs propres intérêts) étaient à relever à l’instar de la lutte contre l’islam politique et radical, le terrorisme, la misère et le développement socio-économique ou la corruption des élites…

Les défis intérieurs…

L’économie israélienne se porte à merveille. Le taux de chômage est inférieur à 4 % et sa croissance dépasse les 3 %. A la pointe des hautes technologies, l’Etat hébreu possède six fois plus de « start-up » par habitant que la France ! La société israélienne est extrêmement innovante et créative. La réputation des chercheurs et des hôpitaux israéliens n’est plus à faire.
C’est donc un pays qui produit énormément de richesses.

Le problème est la répartition de cette richesse. En vingt ans, la pauvreté et les inégalités ont explosé. Les exclus du « miracle économique israélien » sont principalement les ultraorthodoxes et les arabes. Au passage, rappelons cependant que ces derniers (et ils en sont parfaitement conscients) ont relativement un meilleur niveau de vie que la majorité des populations des pays voisins…

Toutefois, afin que la Start-up nation, comme certains l’appellent, profite pleinement de son dynamisme économique, le principal défi est de gagner la paix. En effet, un traité israélo-palestinien est plus que jamais envisageable. Je reste assez optimiste car comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, à terme, les négociations secrètes en cours, relancées par l’administration Trump et soutenues par Sissi et MBS, aboutiront.

Mahmoud Abbas reviendra à la table des négociations et Benyamin Netanyahou finira par céder à la pression américaine en dépit de ses résistances personnelles, politiciennes ou électorales… Ce qui est certain, c’est qu’au plus les gestes et les gages donnés par le Président américain à l’Etat hébreu (déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, retrait de l’accord sur le nucléaire iranien…) seront grands, les concessions israéliennes seront surprenantes… Rien n’est gratuit en politique. Trump veut ardemment son « deal du siècle ».

Nous ne savons pas encore quelle forme prendra ce traité. A n’en pas douter, il sera basé sur un accord sur deux Etats (défi démographique oblige pour l’Etat hébreu), fortement inspiré de l’initiative de paix saoudienne de 2002, réajusté, réactualisé et modernisé, avec peut-être, chose qui peut paraître encore impensable aujourd’hui, des échanges de territoires voire même un statut particulier de Jérusalem.

Même s’il ne sera pas la panacée à tous les problèmes des Palestiniens, il suffit de discuter avec des responsables israéliens comme ceux du Shabak, le Service de sécurité intérieure, pour comprendre qu’une paix signée diminuerait, sans pour autant bien sûr les faire disparaître, les risques d’une nouvelle Intifada ou des attentats. Au moins, elle aurait le mérite de faire redescendre la pression sécuritaire quotidienne…

De même, si un grand traité de paix, solide et sérieux, parrainé par l’Egypte et l’Arabie saoudite, voyait enfin le jour et était surtout reconnu et accepté par tous les Palestiniens (Hamas et Autorité palestinienne) et les Israéliens, cela résoudrait, en grande partie, le problème de la cause palestinienne.

Déjà, comme je l’ai souvent écrit, un tel accord, même si il sera toujours critiqué, couperait tout de même beaucoup d’herbes sous les pieds du radicalisme palestinien (mais aussi israélien) et de tous les extrémistes du monde arabe (Frères musulmans, salafistes et jihadistes) mais également de la République islamique d’Iran (et donc du Hezbollah), dont la lutte contre l’Etat « sioniste », fut et est toujours, sa principale « carte de visite » dans le monde sunnite.

Dès lors, cela ouvrirait d’autres et d’inattendues perspectives au niveau régional. Par exemple, une fois son pays pacifié et afin de redorer son blason sur la scène internationale, Bachar el-Assad, sous l’influence de son protecteur russe, pourrait vouloir lui aussi faire la paix avec Israël, qui sait ?

En définitive, tout cela peut sembler bien irréaliste… pour l’instant. Certes, je ne me fais pas d’illusions. Le chemin sera certainement encore long et difficile. Pour autant, l’Histoire et même l’actualité récente, avec la réconciliation des deux Corées, nous rappellent que ce qui est inimaginable à un moment donné, peut très bien devenir réalité un jour.

à propos de l'auteur
Roland est consultant géopolitique indépendant. Il traitera ici de relations internationales, particulièrement sur la région du Maghreb et du Moyen-Orient, ainsi que des problématiques de géopolitique, de sécurité et de défense
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