26 280 heures de patience

Crédit : Liana Cohen
Crédit : Liana Cohen

Trois ans.

Il y a trois ans, j’ai pris l’avion et j’ai réalisé le rêve tant convoité et encensé de nos Founding fathers.

Il y a trois ans, je me suis armée d’une résilience sans fin, emporté trois valises (et encore non sans regrets en laissant des escarpins derrière moi), la main serrée dans celle de mon père, parcourant les couloirs de CDG, appréhension, excitation, des papillons au ventre, de peur de ne pas être à l’heure pour le vol LY323.

Je me souviens de chaque moment, de chaque aller-retour fait entre Paris et TLV la première et la seconde année.

De peur. D’appréhension, mais aussi du besoin incommensurable d’être rassurée par ceux nous liant par le sang.

L’année #1 : celle ou il ne faut pas oublier les cotons, fut celle du renouveau, de l’apprentissage, de la découverte, des yeux pétillants et des soirées sans fin, au détour d’un couloir d’Oulpan, une bouteille de vin et un paquet de bonbons dans chaque main.

L’année #2: celle où tu apprends à ne pas abandonner et à surmonter la peur de te tromper, et d’être à la hauteur.

Apprendre à s’intégrer peu à peu et apprécier l’intrusion de chacun de tes voisins, se succédant au fur et à mesure des déménagements, au coeur de ta vie sociale, amoureuse et professionnelle. Celle où tu trouves ta vocation, ton travail de rêve, keeping up with vibe. Always.

L’année #3 : celle où l’on sait finalement ce que l’on veut, ce que l’on a envie d’accomplir, ce que les influences extérieures ont pu nous apporter de meilleur.

Trois ans, c’est 1095 jours de questionnement.
Trois ans, c’est 156 semaines pour se surpasser.
Trois ans, c’est aussi 26 280 heures où tout peut arriver.
Trois ans pour réaliser que finalement, repartir a zéro c’est pas si mal.

Oui, on prend des coups.

On enchaîne les déceptions et les moments d’excitation en quelques secondes, et on prend moins tout pour acquis.

J’ai appris à apprécier le système de santé, malgré tous les éléments négatifs et sous-entendus avec lesquels nous sommes envahis constamment. Un genou et une rotule cassée remettant les choses en perspective.

5H d’attente à Shaarei Tsedek douloureuses, entourée de ses amies les plus proches, accourant après un appel d’une Netziga (représentante) répondant au prénom de Bar, qui était simplement en train de bosser au comptoir de la salle de sport.

J’ai attendu des heures, impatiente de rentrer chez moi.

Oui, cet appartement placé au coeur d’un des plus vieux quartiers de cette ville Sainte, même s’il m’était totalement impossible de bouger un pied ou de descendre une marche des escaliers, croyant dur comme fer que la petite guerrière que j’étais pouvait braver n’importe quelle vague la bousculant sur son rivage.

Des colocataires ? Depuis, on a tenté les ישראליות במקור (Israeliote bamakor – Israéliennes d’origine) et les choses se sont avérées plus מורכבים (mourkavim – compliqué) que prévues.
Un (presque) incendie, une facture d’électricité astronomique, des malentendus, quelques fourmis ont fini de me convaincre.

J’ai appris le véritable signification de la patience israélienne – סבלנות (savlanout)
J’ai appris comment être amie avec ses propriétaires, quitte à accepter de nombreuses assiettes de gâteaux.
J’ai appris que chaque personne qui croise notre chemin a un impact.
J’ai pleuré de nerfs au téléphone pour essayer de prendre un avion, dans l’objectif de rentrer après 4 mois d’absence, un manquement au coeur profond, pour celles que je considère comme mes grandes soeurs.

Trois ans c’est aussi un nouvel appartement, et un nouveau quartier.
Oui encore une crémaillère, qui finit par un déhanché endiablé sur du Céline Dion et du JJ Goldman avec ta partner in crime, et ta nouvelle coloc, qui deviendra ta meilleure conseillère.

Une année de plus à trébucher, à ré-apprendre à marcher (littéralement), à poser un pied devant l’autre en essayant de ne pas recommencer les mêmes erreurs.
Une année de plus à avoir à essayer de nouveau projets, à lancer son Podcast, à reprendre des relations sociales pas à pas, et à essayer de prendre le meilleur de l’énergie positive qui t’entoure.

Une année de plus où le Covid-19 a accentué le manque familial et amicale de 200 %. Ou prendre un avion ne semble plus aussi simple. Ou tu as envie de te surpasser pour ne rien regretter, et puis quitte à se tromper, un échec n’est pas synonyme de failure.

Une année de plus à ne pas abandonner et à considérer des étrangers-devenus-partie-integrante-de-ta-famille comme essentiels à ton accomplissement personnel.

Conclusion : C’est l’année où le fameux proverbe selon lequel « Nous ne sommes jamais seuls en Eretz Israel » a pris tout son sens. Ou le métier se révèle vocation.

On doute, et puis ?
On tombe (littéralement), mais on se relève (avec l’aide d’une Kiné et d’une acupuncteure).
On quitte un appartement, on en trouve un nouveau le lendemain.
On prend des directs, des uppercuts, mais on apprend que ceux ne sont que des petits obstacles sur un chemin attirant, attrayant et excitant.
Des pleurs, des cris de joie, des larmes de colère, des promesses tenues, des peines au coeur.

Au bout de trois ans, on change.
On apprend.
On grandit.
On se fait au balagan environnant.
On se fait au manque familial, même si FaceTime ne remplace pas les câlins de nos parents.

On refuse de se laisser marcher sur les pieds, et on crie pour se faire entendre (mes très chers amis du Bituah Leumi, celle-ci est pour vous).

J’ai eu ce soutien.
J’ai su avancer et ne pas abandonner.
Je sais qui remercier.

Tu es le pays des avancées technologiques.
Tu es le pays ou les klaxons raisonnent à 7h30 du matin, faute au camion de livraison garé en double file.
Tu es le pays où l’attente à la Poste est aussi longue que celle d’un JLM-TLV en bus, veille de Rosh Hashana.
Tu es le pays où Kippour prend tout son sens à la fenêtre de ton balcon.
Tu es le pays où même un 3e Seger [confinement] ne t’effraie plus.
Tu es le pays des petits et grands miracles.
Tu es le pays de mon peuple.
Tu es le pays où on apprend à aimer les autres et à les accepter tels qu’ils sont.
Tu es le pays où on a assisté à plus d’élections politiques, et où l’on demande de voter selon ses attaches communautaires.

Je souhaite à mes copains de promos de continuer à suivre les indices et le chemin sur lequel tous ces étrangers rencontrés vous donneront le sourire dès le matin.
De ne jamais abandonner, et de surmonter les tous petits obstacles – surtout administratifs.

Parce que oui, je n’aurais jamais pu déménager une nouvelle fois, en 3 jours et demi ou convaincre le livreur du frigo que « oui, la place de parking en bas de chez moi lui sera bien gardée », ni à surmonter ce défi personnel d’un retour sur mes pattes après 10 mois de rééducation.

Continue de me défier et à me lancer des défis (mais pas trop s’il-te-plaît).

Je donne tout mon amour et mon admiration à notre pays dont nous n’aurions jamais rêvé il y a 72 ans.

Merci pour mon inquiétude, ton lait et ton miel.
Merci à tous mes cactus qui piquent.
Trois ans plus tard.
Merci pour ces הרגשות (argachot – émotions).
On verra d’ici l’année prochaine.

à propos de l'auteur
Liana, du haut de son 1m65, est une brunette atteinte du syndrome typique de la Parisienne, niant une addiction sensible au café. De l'énergie à revendre, la seule chose qui lui importe est d'en finir avec les préjugés sur les françaises, sioniste convaincu, ayant fait l'Alyah, quittant la ville Lumière.
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