2023 : quel Israël soutenir ?

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Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu (Bertolt Brecht)

Comme je le déplorais dans mon article précédent, tout ce qui se passe en Israël ces dernières semaines laisse de marbre, sauf erreur ou omission, les grands maîtres autoproclamés de la démocratie et des droits de l’homme, les BHL, les Finkielkraut et d’autres pointures plus modestes, mais qui jouissent de caisses de résonance médiatique non-négligeables, comme Marek Halter ou Jonathan Arfi. Ces abonnés des micros et des caméras semblent être soudain devenus de grands timides…

Or, comme on dit chez Charlie-Hebdo : « C’est pourtant pas compliqué ! ». Il ne s’agit évidemment pas de rejoindre la meute des antisionistes idéologiques de tout poil, ou celle des anti-Israéliens obsessionnels de tous courants; il s’agit seulement d’appeler Israël à rester fidèle aux valeurs de ses pères fondateurs, du judaïsme humaniste et de sa Déclaration d’Indépendance.

Pas bien grave, quand même, à mon humble avis, et qui ne nécessite pas un courage hors du commun; je dirais que c’est « le service minimum », mais c’est encore trop, semble-t-il, pour beaucoup, qui ne se rendent pas compte que leur silence va leur coûter beaucoup en termes de crédibilité publique lorsqu’ils s’exprimeront sur d’autres dangers vécus par d’autres démocraties, y compris la France.

En tous cas, puisque les voix qu’on attendait (je parle au passé car maintenant tout ce qu’ils feront éventuellement sera trop peu et trop tard) ne se sont pas exprimées, il reste à chacun et à chacune, en Diaspora, s’il voit dans l’Etat d’Israël un élément central de son identité et de son vécu, à décider comment le soutenir dans la nouvelle situation créée, alors qu’il se trouve maintenant en proie à une tentation antidémocratique, autoritaire et cléricale sans précédent.

La réponse à cette question est très simple.

Ceux qui sont satisfaits de ce que fait déjà et fera bien plus le nouveau gouvernement continueront à soutenir Israël comme ils l’ont fait jusqu’ici quand ce genre de coalition était au pouvoir, et ne concernent pas ma réflexion de ce jour. Les autres devront revoir courageusement leurs positions et leur manière de faire depuis tant d’années.

Je distinguerai les deux champs d’expression majeurs de ce soutien : l’activité politique et les dons aux collectes nationales.

1-Fin du « soutien inconditionnel »

Il est déjà évident pour tout Juif démocrate et humaniste que ce gouvernement, composé comme il l’est par la volonté de Binyamin Netanyahou (ne jamais oublier cela, il est bien trop facile de se focaliser sur tel ou tel de ses ministres), va multiplier les déclarations et actions concrètes insupportables pour quiconque a un minimum de sens moral. En fait, cela a déjà commencé. La formule classique du « soutien inconditionnel » a donc vécu.

« Mais le peuple israélien s’est exprimé », entendra-t-on sans cesse de la part des partisans de la coalition en place. Certes, et nul ne le conteste, mais deux rappels importants s’imposent cependant. Le premier est que d’autres peuples se sont eux aussi « exprimés » dans des élections démocratiques au siècle passé, et la suite est connue; le second est que pendant les années Rabin (1992-1995), les Juifs de droite en Diaspora ont mené contre lui, ses ministres et ses partisans une guerre sans précédent, dont les deux pôles ont été Paris et New York, et n’ont pas reculé devant la violence physique – les « anciens » s’en souviendront: perturbation de conférences, agressions contre Nissim Zvili et Yael Dayan à Paris et contre Colette Avital à New York, jets d’œufs, insultes, etc.

Le camp du sionisme humaniste ne mange pas de ce pain-là, fort heureusement, mais il ne peut plus cautionner ce qui va se produire ici (et les choses vont déjà très vite). Il faudra donc, pour la durée de vie de ce gouvernement, dire aux ambassadeurs d’Israël: « Désolé, mais je ne peux pas aller voir mon député/mon sénateur/mon maire pour lui « expliquer » ce que vous faites« , ou « A mon grand regret, je ne peux signer le texte que vous me proposez/je ne ferai pas la conférence que vous me demandez/je ne lancerai pas la pétition que vous voulez faire signer« , etc.

Et aussi: « Il m’est impossible de venir à la réception que vous organisez pour le ministre X, Y ou Z, ou pour Mr. Netanyahou, seul responsable de leur entrée au gouvernement, et sachez que ce n’est pas suite à un problème de temps, mais parce que cette personne propage des idées antidémocratiques, racistes, misogynes, ou homophobes (selon les cas, nombreux sont les ministres qui cochent plusieurs cases), et qu’elle me fait honte en tant que Juif et soutien d’Israël. Vous êtes obligé de les honorer, moi pas« .

Ce sera difficile, on n’aurait jamais imaginé se trouver dans un tel cas de figure, mais tous ceux et toutes celles qui se reconnaissent dans les valeurs du sionisme originel, et dans celles de la Déclaration d’Indépendance, devront à l’avenir, au nom de ces mêmes valeurs, agir de la sorte, sauf à les trahir de façon irréparable – et comme je le disais plus haut dans le cas de nos grands discoureurs soudain si muets, à risquer de perdre toute crédibilité dans leurs luttes contre toutes sortes d’injustices et de discriminations, en France comme ailleurs.

2-Redistribution des dons

J’écris ces lignes avec un vrai serrement au cœur, mais l’heure est venue de reconsidérer l’affectation des dons aux Institutions Nationales (« mossdot leoumiim« ) que sont l’Agence juive, le KKL et le Keren Hayessod (la « Magbit« ).

Serrement de cœur, car le KKL est un beau souvenir de jeunesse, quand on se levait tôt, deux ou trois dimanches par an, on enfilait notre uniforme bleu de l’Hashomer Hatzaïr et on allait collecter de porte à porte dans la communauté de Bruxelles les sous qui permettraient de planter des arbres en Israël, d’y ramener la vie, de faire reculer le désert.

Serrement de coeur décuplé pour ce qui est du Keren Hayessod, où j’ai passé 17 ans de ma vie professionnelle, 17 ans si intensifs, si riches, qui m’ont donné tant d’occasions d’être ému et fier de ce que cette organisation réalisait grâce à ses donateurs idéalistes et enthousiastes – et où je garde des amitiés précieuses (que j’ai informé de la publication de ce texte).

Hélas, le poison de la politique infecte aujourd’hui notablement ces deux organisations, surtout le KKL d’ailleurs, qui semble être prêt désormais à s’investir dans la colonisation dans les Territoires, ce dont le Keren Hayessod se garde bien jusqu’à présent. Ce serait là un désastre de plus, causé par la majorité de droite et religieuse qui préside depuis les dernières élections sionistes aux destinées de l’Organisation sioniste mondiale.

De plus, l’orientation des directions de ces institutions et la composition de leurs exécutifs peuvent laisser craindre que cette tendance nationaliste et messianique ne fasse de plus en plus de progrès.

C’est pourquoi il convient maintenant aux donateurs de ces organisations, ou à ceux qui donnent directement à l’Agence juive, de reconsidérer très sérieusement la destination de leurs dons. Sans les priver totalement de leur générosité, les donateurs qui veulent voir Israël rester fidèle à ses valeurs fondamentales pourraient par exemple réduire leurs contributions en faveur de ces institutions, et affecter les sommes ainsi libérées directement à des groupes et institutions en Israël qui mènent le combat pour un sionisme à visage humain, un combat courageux et qui les expose désormais, j’en suis convaincu, à des risques physiques non-négligeables.

Il y a dans ce domaine un vaste éventail de possibilités, pour toutes les sensibilités, que ce soit dans le champ politique, éducatif, religieux ou social. J’en donnais quelques exemples dans un précédent article, mais il y a en bien entendu, et heureusement, beaucoup d’autres encore. La nuit n’est pas encore totale en Israël. L’éclipse des valeurs humaines essentielles du judaïsme et du sionisme n’est pas encore définitive, même si le processus est très mal engagé.

Aidons donc concrètement à partir de maintenant aussi, et fortement, ceux qui n’ont pas renoncé, ceux qui ont décidé de se battre, alors que la démographie et la sociologie israéliennes les donnent perdants, ceux qui, perpétuant la tradition du sionisme humaniste, sont sur le terrain avec une impressionnante détermination et avec au coeur cette phrase de la « Hatikvah »: « Notre espoir n’est pas encore perdu ».

à propos de l'auteur
Né à Bruxelles (Belgique) en 1954. Vit en Israël depuis 1975. Licencié en Histoire contemporaine de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Ancien diplomate israélien (1981-1998) avec missions à Paris, Rome, Marseille et Lisbonne et ancien directeur de la Communication, puis d'autres projets au Keren Hayessod-Appel Unifié pour Israël (1998-2017).
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