2022, année charnière
Alors que la planète se remet tant bien que mal de la pandémie de la Covid, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a changé l’équilibre géopolitique et a affecté l’économie mondiale. La confirmation d’un troisième mandat à la présidence et sans limite d’âge de Xi Jiping, la crise de l’énergie et de l’alimentation tout comme le résultat mitigé des Républicains américains constituent un tournant important du contexte géopolitique et économique des pays industrialisés.
Les conséquences de l’invasion de l’Ukraine
Confortée par le désistement des États-Unis au Moyen-Orient, puis par la débâcle américaine en Afghanistan en 2021, la Russie a grugé des territoires en Ukraine (Crimée, Donbass) sans que les pays occidentaux réagissent fermement. Mais l’invasion de l’Ukraine a été la goutte qui a fait déborder le vase.
L’opposition des pays occidentaux à cette invasion a été unanime. Des sanctions économiques ont été imposées sur la Russie et des grandes compagnies occidentales ont tout simplement laissé tomber leurs investissements. L’économie et l’armement russes ont peine à vivre avec la cessation de l’importation de capteurs et de semiconducteurs avancés.
L’industrie gazière et pétrolière russe ne bénéficie plus de l’expertise de maintenance des pays occidentaux et les pétroliers russes ne sont plus admissibles aux couvertures offertes par les compagnies d’assurances. Le projet de pipeline gazier russe Nord Stream a été abandonné et l’économie de l’Europe en pâtit. À moyen terme, les exportations de gaz américain pourront répondre aux besoins énergétiques européens.
Quand on sait que la puissante Russie est allée quémander des drones et des missiles à l’Iran et à la Corée du Nord, qu’elle a recouru à la conscription de plus de 300 000 soldats et à l’engagement de forçats dans les troupes de mercenaires de Wagner pour venir à bout d’une « opération militaire » on comprend que les choses vont au plus mal. Les pertes en équipement de la Russie ont été plus importantes que l’ensemble des armements que l’Ukraine a reçu des pays occidentaux.
Les démocraties ont armé l’Ukraine d’armes défensives redoutables et des dizaines de milliers d’Ukrainiens s’entrainent à leur manipulation en dehors de leur pays. Elles se sentent soudées et cherchent à revitaliser l’OTAN. L’Allemagne a voté des budgets de réarmement considérables. Le projet d’avion furtif européen a été mis de côté et l’avion furtif américain F-35 a été adopté par la majorité des pays d’Europe.
Les États-Unis
Lors des dernières élections américaines du mois de novembre, les Républicains se sont entredéchirés avant les élections alors que les Démocrates ont tu leurs différences internes pour présenter un front uni. La vague républicaine tant attendue ne s’est pas concrétisée ; la quasi-inculpation du président Trump relativement à son rôle lors de l’assaut sur le Capitole du 6 janvier 2021 a probablement sonné le glas pour la mouvance trumpiste.
Ceci dit, le président Trump a su secouer les pays de l’OTAN les accusant de vivre aux crochets de l’Amérique et en les forçant à augmenter leur budget de défense. Il a supervisé les accords d’Abraham qui ont officialisé les relations entre Israël et plusieurs pays arabes. L’interdiction d’adopter des produits chinois de haute technologie, dont les télécommunications, a été renforcée par le président Biden qui a prohibé la vente des technologies de semiconducteurs avancés à la Chine. Le président Biden a dû se résoudre à composer avec des pays autoritaires telle l’Arabie saoudite et mettre de côté ses considérations libérales au nom d’intérêts géopolitiques supérieurs.
La Chine
Xi Jiping est devenu le président permanent de la Chine. Il ne souffre aucune critique ou dissidence au Politburo et il s’est entouré de personnes « sûres. » L’agressivité dont il a fait preuve en mer de Chine, au détroit de Taiwan et à proximité des îles japonaises de Senkaku a fait que les pays de l’Asie du Sud-est se sont ralliés aux États-Unis. Xi Jiping qui s’est promis de rallier de gré ou de force Taiwan à la Chine doit suivre de près ce qui s’est passé en Ukraine : d’une part, l’armement russe copié ou construit sous licence en Chine ne semble pas avoir été performant ; d’autre part, le ralliement des pays occidentaux contre la Russie et leur aspiration à la « déglobalisation » au prix d’une inflation non négligeable doivent lui donner à réfléchir.
L’hubris de son infaillibilité a reçu un sérieux coup de semonce avec l’abandon de sa politique du zéro covid dont il a longtemps vanté la sagacité. Par ailleurs, son style de gouvernement quasi stalinien risque de créer une maille de rapports de performance économiques fictifs en Chine, tout comme cela avait été le cas dans l’ancienne URSS.
Au niveau mondial
La transition à l’industrie reposant sur l’énergie gazière plutôt que celle du pétrole est en cours. L’énergie verte quant à elle va dépendre de l’acquisition de matériaux rares. Leur recensement est en cours, excluant une proportion importante provenant de la Russie. La fourniture d’engrais sérieusement ralentie par la guerre en Ukraine devient un problème vital. Y répondre est essentiel si l’on veut éviter une crise de famine mondiale.
À surveiller
L’Iran se rapproche dangereusement de l’arme atomique. La population iranienne ne fait plus confiance aux mollahs qui recourent à la violence. Devant le danger iranien, les pays du Golfe soudent leurs liens militaires et diplomatiques avec Israël. Même l’erratique président turc Erdogan fait des appels de pied à Israël depuis plus d’un an. Des décisions cruciales devront être prises à ce sujet.
Selon toute probabilité, la Russie prépare une attaque massive de l’Ukraine au printemps 2023 en tenant compte des leçons tirées sur la performance de l’Armée rouge en 2022. Le fait que la Pologne ait décidé de faire des exercices militaires avec 200 000 soldats et autant de réservistes au mois de mars 2023 est peut-être le signe que ce pays se prépare au pire.
Dans son ouvrage prémonitoire Le problème de la Chine publié en 1922, le philosophe britannique Bertrand Russel avançait avec enthousiasme que la Chine avec ses ressources, sa population et son esprit patriotique, pouvait devenir « la plus grande puissance du monde après les États-Unis. » Mais il ajoutait également une réserve : « le danger du patriotisme est que, dès qu’il s’est avéré assez fort pour une défense réussie, il est susceptible de se tourner vers l’agression étrangère. »